Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/113

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fique contre toutes sortes de maladies. Il sortit ensuite en disant d’un air de confiance à la dame Jacinte et à moi qu’il répondait de la vie du malade, si on le traitait de la manière qu’il venait de prescrire. La gouvernante, qui jugeait peut-être autrement que lui de sa méthode, protesta qu’on la suivrait avec exactitude. En effet, nous mîmes promptement de l’eau chauffer ; et, comme le médecin nous avait recommandé sur toutes choses de ne la point épargner, nous en fîmes d’abord boire à mon maître deux ou trois pintes à longs traits. Une heure après nous réitérâmes ; puis, retournant encore de temps en temps à la charge, nous versâmes dans son estomac un déluge d’eau. D’un autre côté, le chirurgien nous secondant par la quantité de sang qu’il tirait, nous réduisîmes, en moins de deux jours, le vieux chanoine à l’extrémité.

Ce bon ecclésiastique, n’en pouvant plus, comme je voulais lui faire avaler un grand verre du spécifique, me dit d’une voix faible : Arrête, Gil Blas ; ne m’en donne pas davantage, mon ami. Je vois bien qu’il faut mourir, malgré la vertu de l’eau, et, quoiqu’il me reste à peine une goutte de sang je ne m’en porte pas mieux pour cela : ce qui prouve bien que le plus habile médecin du monde ne saurait prolonger nos jours, quand leur terme fatal est arrivé. Il faut donc que je me prépare à partir pour l’autre monde ; va me chercher un notaire ; je veux faire mon testament. À ces derniers mots, que je n’étais pas fâché d’entendre, j’affectai de paraître fort triste : ce que tout héritier ne manque pas de faire en pareil cas ; et, cachant l’envie que j’avais de m’acquitter de la commission qu’il me donnait : Eh ! mais, monsieur, lui dis-je, vous n’êtes pas si bas, Dieu merci, que vous ne puissiez vous relever. Non, non, repartit-il, mon enfant, c’en est fait ; je sens que la goutte remonte et que la mort s’approche : hâte-toi d’aller où je t’ai dit. Je m’aperçus effectivement qu’il changeait à vue d’œil ; et la chose me parut si pres-