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les meilleurs pour la santé. Comme le sang est insipide, il veut des mets qui tiennent de sa nature. Et buvez-vous du vin ? ajouta-t-il. Oui, dit le licencié, du vin trempé. Oh ! trempé tant qu’il vous plaira, reprit le médecin. Quel dérèglement ! voilà un régime épouvantable. Il y a longtemps que vous devriez être mort. Quel âge avez-vous ? J’entre dans ma soixante-neuvième année, répondit le chanoine. Justement, répliqua le médecin ; une vieillesse anticipée est toujours le fruit de l’intempérance. Si vous n’eussiez bu que de l’eau claire toute votre vie, et que vous vous fussiez contenté d’une nourriture simple, de pommes cuites, par exemple, de pois ou de fèves, vous ne seriez pas présentement tourmenté de la goutte, et tous vos membres feraient encore facilement leurs fonctions. Je ne désespère pas toutefois de vous remettre sur pied, pourvu que vous vous abandonniez à mes ordonnances. Le licencié, tout friand qu’il était, promit de lui obéir en toutes choses.

Alors Sangrado m’envoya chercher un chirurgien qu’il me nomma, et fit tirer à mon maître six bonnes palettes de sang, pour commencer à suppléer au défaut de la transpiration. Puis il dit au chirurgien : Maître Martin Onez, revenez dans trois heures en faire autant, et demain vous recommencerez. C’est une erreur de penser que le sang soit nécessaire à la conservation de la vie ; on ne peut trop saigner un malade. Comme il n’est obligé à aucun mouvement ou exercice considérable, et qu’il n’a rien à faire que de ne point mourir, il ne lui faut pas plus de sang pour vivre qu’à un homme endormi : la vie, dans tous les deux, ne consiste que dans le pouls et dans la respiration. Le bon chanoine, s’imaginant qu’un si grand médecin ne pouvait faire de faux raisonnements, se laissa saigner sans résistance. Lorsque le docteur eut ordonné de fréquentes et copieuses saignées, il dit qu’il fallait aussi donner au chanoine de l’eau chaude à tout moment, assurant que l’eau bue en abondance pouvait passer pour le véritable spéci-