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siettes, je leur versais à boire, j’avais une attention toute particulière à les servir. Je m’insinuai par là dans leur amitié. Un jour que la dame Jacinte était sortie pour aller à la provision, me voyant seul avec Inésille, je commençai à l’entretenir. Je lui demandai si son père et sa mère vivaient encore. Oh ! que non, me répondit-elle : il y a bien longtemps, bien longtemps qu’ils sont morts ; car ma bonne tante me l’a dit, et je ne les ai jamais vus. Je crus pieusement la petite fille, quoique sa réponse ne fût pas catégorique ; et je la mis si bien en train de parler, qu’elle m’en dit plus que je n’en voulais savoir. Elle m’apprit, ou plutôt je compris par les naïvetés qui lui échappèrent, que sa bonne tante avait un bon ami qui demeurait aussi auprès d’un vieux chanoine dont il administrait le temporel, et que ces heureux domestiques comptaient d’assembler les dépouilles de leurs maîtres par un hyménée dont ils goûtaient les douceurs par avance. J’ai déjà bien dit que la dame Jacinte, bien qu’un peu surannée, avait encore de la fraîcheur. Il est vrai qu’elle n’épargnait rien pour se conserver : outre qu’elle prenait tous les matins un clystère, elle avalait pendant le jour, et en se couchant, d’excellents coulis. De plus, elle dormait tranquillement la nuit, tandis que je veillais mon maître. Mais ce qui peut-être contribuait encore plus que toutes ces choses à lui rendre le teint frais, c’était, à ce que me dit Inésille, une fontaine qu’elle avait à chaque jambe.


CHAPITRE II

De quelle manière le chanoine, étant tombé malade, fut traité ; ce qu’il en arriva, et ce qu’il laissa, par testament, à Gil Blas.


Je servis pendant trois mois le licencié Sedillo, sans me plaindre des mauvaises nuits qu’il me faisait pas-