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discours de Fabrice, elle demanda si c’était moi qui recherchais la place vacante. Oui, lui dit le fils de Nunez, c’est ce jeune homme. Tel que vous le voyez, il lui est arrivé des disgrâces qui l’obligent à se mettre en condition : il se consolera de ses malheurs, ajouta-t-il d’un ton doucereux, s’il a le bonheur d’entrer dans cette maison, et de vivre avec la vertueuse Jacinte, qui mériterait d’être la gouvernante du patriarche des Indes. À ces mots, la vieille béate cessa de me regarder, pour considérer le gracieux personnage qui lui parlait ; et frappée de ses traits, qu’elle crut ne lui être pas inconnus : J’ai une idée confuse de vous avoir vu, lui dit-elle ; aidez-moi à la débrouiller. Chaste Jacinte, lui répondit Fabrice, il m’est bien glorieux de m’être attiré vos regards. Je suis venu deux fois dans cette maison avec mon maître le seigneur Manuel Ordonnez, administrateur de l’hôpital. Eh ! justement, répliqua la gouvernante, je m’en souviens, et je vous remets. Ah ! puisque vous appartenez au seigneur Ordonnez, il faut que vous soyez un garçon de bien et d’honneur. Votre condition fait votre éloge, et ce jeune homme ne saurait avoir un meilleur répondant que vous. Venez, poursuivit-elle, je vais vous faire parler au seigneur Sedillo. Je crois qu’il sera bien aise d’avoir un garçon de votre main.

Nous suivîmes la dame Jacinte. Le chanoine était logé par bas, et son appartement consistait en quatre pièces de plain-pied, bien boisées. Elle nous pria d’attendre un moment dans la première, et nous y laissa pour passer dans la seconde, où était le licencié. Après y avoir demeuré quelque temps en particulier avec lui pour le mettre au fait, elle vint nous dire que nous pouvions entrer. Nous aperçûmes le vieux podagre enfoncé dans un fauteuil, un oreiller sous la tête, des coussins sous les bras, et les jambes appuyées sur un gros carreau plein de duvet. Nous nous approchâmes de lui sans ménager les révérences ; et Fabrice, portant encore