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d’excellents postes vacants ; je vais vous les nommer, et vous choisirez celui qui vous plaira. En achevant ces paroles, il mit ses lunettes, ouvrit un registre qui était sur la table, tourna quelques feuillets, et commença de lire dans ces termes : Il faut un laquais au capitaine Torbellino[1], homme emporté, brutal et fantasque : il gronde sans cesse, jure, frappe, et le plus souvent estropie ses domestiques. Passons à un autre, m’écriai-je à ce portrait ; ce capitaine-là n’est pas de mon goût. Ma vivacité fit sourire Arias qui poursuivit ainsi sa lecture : Dona Manuela de Sandoval, douairière surannée, hargneuse et bizarre, est actuellement sans laquais ; elle n’en a qu’un d’ordinaire, encore ne le peut-elle garder un jour entier. Il y a dans la maison, depuis dix ans, un habit qui sert à tous les valets qui entrent, de quelque taille qu’ils soient : on peut dire qu’ils ne font que l’essayer, et qu’il est encore tout neuf, quoique deux mille laquais l’aient porté. Il manque un valet au docteur Alvar Fanez. C’est un médecin chimiste. Il nourrit bien ses domestiques, les entretient proprement, leur donne même de gros gages ; mais il fait sur eux l’épreuve de ses remèdes. Il y a souvent des places de laquais à remplir chez cet homme-là.

Oh ! je le crois bien, interrompit Fabrice en riant. Vive Dieu ! vous nous enseignez là de bonnes conditions ! Patience, dit Arias de Londona ; nous ne sommes pas au bout ; il y a de quoi vous contenter. Là-dessus il continua de lire de cette sorte : Dona Alfonsa de Solis, vieille dévote qui passe les deux tiers de la journée dans l’église, et veut que son valet y soit toujours auprès d’elle, n’a point de laquais depuis trois semaines. Le licencié Sedillo, vieux chanoine du chapitre de cette ville, chassa hier au soir son valet… Halte-là, seigneur Arias de Londona, s’écria Fabrice en cet endroit ; nous nous en tenons à ce dernier poste. Le licencié Sedillo

  1. Torbellinô, tourbillon. Il y a beaucoup d’autres personnages de cette histoire dont les noms espagnols sont également significatifs.