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à son tour les hommes qui l’ont trompé ; se livrant sans trop de scrupule à cette espèce de représailles et quittant volontiers le parti des dupes pour celui des fripons ; capable cependant de repentir et de retour, conservant jusqu’au bout le goût de la probité, en se promettant bien de redevenir honnête homme à la première occasion favorable ; tels sont, en abrégé, les sentiments que montre Gil Blas dans les différentes situations où il se trouve placé, et qui ne sont pas plus romanesques que ne l’est son caractère. Nous le voyons qui s’arrête à l’entrée de la vie, incertain de ce qu’il doit faire ; mais le hasard en décide bien plus que la réflexion. Des circonstances fortuites l’engagent dans des routes diverses qu’il abandonne le plus souvent par lassitude et par caprice. Il passe successivement par toutes les épreuves de la vie humaine, par toutes les conditions de la société civile, jusqu’à ce qu’une rencontre heureuse le porte enfin à la fortune, et lui fasse obtenir sans peine et contre son attente ce qu’il a longtemps poursuivi sans succès, ce qui se refuse presque toujours à la persévérance des efforts et à l’éclat du mérite. La prospérité le corrompt, mais la disgrâce l’éclaire et le corrige, désabusé du monde et de ses faux biens, il comprend par expérience que le bonheur est dans une retraite agréable, dans une honnête médiocrité. C’est au milieu des jouissances paisibles de la vie domestique qu’il achève doucement ses jours, plus heureux que la plupart des hommes, qui ne savent pas toujours tirer cette instruction de leur infortune et gagner le port après le naufrage. Voilà l’histoire de Gil Blas : n’est-ce pas la nôtre et celle du grand nombre ? N’est-ce pas la vie elle-même, telle que la font, en dépit de la raison, le sort et les passions humaines ? »


L’émule de M. Patin, M. Malitourne, nous offrirait dans son Éloge de Le Sage des points de vue analo-