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eux. Madame Oronte est dans une colère horrible contre vous. M. Orgon. Contre moi ! La Branche. Contre vous. Hé quoi, a-t-elle dit, Monsieur Orgon nous manque de parole, qui l'aurait cru ? Ma fille désormais ne doit plus espérer d'établissement. M. Orgon. Quel tort cela peut-il faire à sa fille ? La Branche. C'est ce que je lui ai répondu. Mais comment voulez-vous qu'une femme en colère entende raison ? C'est tout ce qu'elle peut faire de sens froid. Elle a fait là-dessus des raisonnements bourgeois. On ne croira point dans le monde, a-t-elle dit, que Damis ait été obligé d'épouser une fille de Chartres ; on dira plutôt que Monsieur Orgon a approfondi nos biens, et que ne les ayant pas trouvés solides, il a retiré sa parole. M. Orgon. Fi donc, peut-elle s'imaginer qu'on dira cela ? La Branche. Vous ne sauriez croire jusqu'à quel point la fureur s'est emparée de ses sens. Elle a les yeux dans la tête ; elle ne connaît personne ; elle m'a pris à la gorge, et j'ai eu toutes les peines du monde à me tirer de ses griffes. M. Orgon. Et Monsieur Oronte ? La Branche. Oh, pour Monsieur Oronte, je l'ai trouvé plus modéré, lui, il m'a seulement donné deux soufflets. M. Orgon. Tu m'étonnes La Branche, peuvent-ils être capables d'un pareil emportement ? Et doivent-ils trouver mauvais que j'aie consenti au mariage de mon fils ? Ne leur en as-tu pas expliqué toutes les circonstances ? La Branche. Pardonnez-moi, je leur ai dit que Monsieur votre fils ayant commencé par où l'on finit d'ordinaire, la famille de votre bru se préparait à vous faire un procès que vous avez sagement prévenu en unissant les parties. M. Orgon. Ils ne se sont pas rendus à cette raison ? La Branche. Bon, rendus ! Ils sont bien en état de se rendre. Si vous m'en croyez, Monsieur, vous retournerez à Chartres tout à l'heure. M. Orgon veut entrer chez Monsieur Oronte. Non, La Branche, je veux les voir, et leur représenter si bien les choses, que... La Branche, le retenant. Vous n'entrerez pas, Monsieur, je vous assure, je ne souffrirai point que vous alliez vous faire dévisager. Si vous leur voulez parler absolument, laissez passer leurs premiers transports. M. Orgon. Cela est de bon sens. La Branche. Remettez votre visite à demain. Ils seront plus disposés à vous recevoir. M. Orgon. Tu as raison ; ils seront dans une situation moins violente. Allons, je veux suivre ton conseil. La Branche. Cependant, Monsieur, vous ferez ce qu'il vous plaira, vous êtes le maître.


Scène XX

La Branche, seul. Je marche sur vos pas, ou plutôt je vais trouver Crispin. Nous voilà pour le coup au-dessus de toutes les difficultés. Il ne me reste plus qu'un petit scrupule au sujet de la dot. Il me fâche de la partager avec un associé ; car enfin, Angélique ne pouvant être à mon maître, il me semble que la dot m'appartient de droit tout entière. Comment tromperai-je Crispin ? Il faut que je lui conseille de passer la nuit avec Angélique. Ce sera sa femme une fois. Il l'aime, et il est homme à suivre ce conseil. Pendant qu'il s'amusera à la bagatelle, je déménagerai avec le solide. Mais, non. Rejetons cette pensée. Ne nous brouillons point avec un homme qui en sait aussi long que moi. Il pourrait bien quelque jour avoir sa revanche. D'ailleurs, ce serait aller contre nos lois. Nous autres gens d'intrigue, nous nous gardons les uns aux autres une fidélité plus exacte que les honnêtes gens. Voici Monsieur Oronte qui sort de chez lui pour aller chez son notaire ; quel bonheur d'avoir éloigné d'ici Monsieur Orgon !