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Et je disparaîtrai avant qu'on en vienne aux éclaircissements. La Branche. Expliquons-nous mieux sur cet article. Crispin. Pourquoi ? La Branche. Tu parles de disparaître avec la dot sans faire mention de moi. Il y a quelque chose à corriger dans ce plan-là. Crispin. Oh nous disparaîtrons ensemble. La Branche. À cette condition-là, je te sers de croupier . Le coup, je l'avoue est un peu hardi; mais mon audace se réveille, et je sens que je suis né pour les grandes choses. Où irons-nous cacher la dot? Crispin. Dans le fond de quelque province éloignée. La Branche. Je crois qu'elle sera mieux hors du royaume, qu'en dis-tu ? Crispin. C'est ce que nous verrons. Apprends-moi de quel caractère est Monsieur Oronte. La Branche. C'est un bourgeois fort simple, un petit génie. Crispin. Et Madame Oronte ? La Branche. Une femme de vingt-cinq à soixante ans, une femme qui s'aime, et qui est d'un esprit tellement incertain, qu'elle croit dans le même moment le pour et le contre. Crispin. Cela suffit, il faut à présent emprunter des habits pour... La Branche. Tu peux te servir de ceux de mon maître, oui justement tu es à peu près de sa taille. Crispin. Peste ! il n'est pas mal fait. La Branche. Je vois sortir quelqu'un de chez Monsieur Oronte, allons dans mon auberge concerter l'exécution de notre entreprise. Crispin. Il faut auparavant que je coure au logis parler à Valère, et que je l'engage par une fausse confidence à ne point venir de quelques jours chez Monsieur Oronte. Je t'aurai bientôt rejoint.


Scène IV

Angélique, Lisette

Angélique. Oui, Lisette, depuis que Valère m'a découvert sa passion, un secret chagrin me dévore, et je sens que si j'épouse Damis, il m'en coûtera le repos de ma vie. Lisette. Voilà un dangereux homme que ce Valère. Angélique. Que je suis malheureuse ! entre dans ma situation, Lisette ! que dois-je faire ? conseille-moi, je t'en conjure. Lisette. Quel conseil pouvez-vous attendre de moi ? Angélique. Celui que t'inspirera l'intérêt que tu prends à ce qui me touche. Lisette. On ne peut vous donner que deux sortes de conseils, l'un d'oublier Valère, et l'autre de vous raidir contre l'autorité paternelle : vous avez trop d'amour pour suivre le premier, j'ai la conscience trop délicate pour vous donner le second, cela est embarrassant comme vous voyez. Angélique. Ah ! Lisette tu me désespères. Lisette. Attendez, il me semble pourtant que l'on peut concilier votre amour et ma conscience; oui, allons trouver votre mère. Angélique. Que lui dire ? Lisette. Avouons-lui tout, elle aime qu'on la flatte, qu'on la caresse ; flattons-la, caressons-la ; dans le fond, elle a de l'amitié pour vous, et elle obligera peut-être Monsieur Oronte à retirer sa parole. Angélique. Tu as raison, Lisette, mais je crains... Lisette. Quoi ? Angélique. Tu connais ma mère, son esprit a si peu de fermeté. Lisette. Il est vrai qu'elle est toujours du sentiment de celui qui lui parle le dernier, n'importe ne laissons pas de l'attirer dans notre parti. Mais je la vois, retirez-vous pour un moment, vous reviendrez quand je vous en ferai signe.