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Voyages Aduentureux

chalance, & le peu de ſoin de chaſtier les criminels, luy pûſſent acquerir le tiltre de debonnaire ; qu’en tel cas ſes ſuiets n’auroient pas ſi toſt reconneu ſi cela procedoit de ſon inclination naturelle, qu’ils prendroient à l’heure meſme telle liberté qu’ils voudroient : ce qui pourroit eſtre cauſe à l’aduenir, de reduire les forces de ſes conqueſtes au meſme eſtat où Malaca se voyoit reduitte. Ceſte harangue finie, il ſe retira dans ſa maiſon, & m’enuoya loger en celle d’vn Marchand Gentil, natif du Royaume d’Andragie, qui durant cinq iours que i’y demeuray me traitta magnifiquemẽt ; quoy que pour en dire le vray, en ce tẽps là i’euſſe treuué bien plus agreable quelque pauure viande en vn autre logis que le ſien, pour ce que ie m’y fuſſe tenu plus aſſeurément ; car en ceſte maiſon ie n’eſtois qu’en crainte, pour les continuelles allarmes que les ennemis y donnoient ; ioinct que le lendemain de mon arriuée, des nouuelles certaines vinrent au Roy, que les gens d’Achem eſtoient deſia partis de leur pays, & qu’auparauant qu’il fuſt huit iours ils arriueroient. Ce qui fut cauſe que le Roy ſe haſta de tout ſon poſſible, tant pour donner ordre aux choſes auſquelles il n’auoit pas encore pourueu, qu’à faire ſortir de la Ville les femmes, & tous ceux qu’il iugea n’eſtre propres au combat ; comme ils furent dehors, il cõmanda qu’ils ſe retiraſſent cinq ou ſix lieuës auant dans le bois, ce qui fut executé auec vn déſordre où la pitié ſe meſloit ſi fort, que i’en eſtois effrayé moy-meſme, & Dieu ſçait ſi ie ne me repentois pas d’y eſtre venu, car à n’en point mentir, c’eſtoit vne choſe bien digne de compaſſion de voir comme quoy la Royne faiſoit ſa retraitte dans le bois, montée sur vn Elephant, & accompagnée de quarante, ou de cinquante vieillards qui la ſuiuoient peſle-meſle, ſi tranſie de peur, que i’acheuay d’inferer par là que les Achems prendroient infailliblement ce pays auec fort peu de deſpence. Cinq iours apres mon arriuée, le Roy m’enuoya querir, & me demanda quand ie m’en voulois en aller, à quoy ie fis reſponſe que ce ſeroit quand ſa grandeur me le commanderoit, mais que ie ſerois bien-aiſe que ce fuſt au pluſtoſt, pour ce que le Capitaine me deuoit enuoyer à la