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de Fernand Mendez Pinto.

tretint de ſes autres miſeres & pauuretez, qui me firent connoiſtre qu’il eſtoit tellement deſpourueu des choſes qui luy eſtoient fort neceſſaires pour remedier à vne ſi grãde neceſſité, qui ie iugeay dés l’heure que les ennemis n’auroient pas beaucoup de peine à s’emparer de ce Royaume. Neantmoins m’ayant demandé ce qui me ſembloit de ceſte abondance de munitions qui eſtoit dans ſes magasins, & s’il en auoit aſſez pour receuoir les hoſtes qu’il attendoit, Ie luy reſpondis qu’oüy, & que cela ſuffiroit pour les traiter : mais luy reconnoiſſant mon deſſein, fut quelques temps à ſonger, puis branlant la teſte, Certainement, me dit-il, ſi le Roy de vous autres Portugais ſçauoit maintenant le grand gain que celuy ſeroit, ſi ie ne perdois mon Royaume, & auſſi combien il perdroit, ſi les gens d’Achem me prenoient Aaru, il chaſtieroit ſans doute le peu de ſoin de ſes Capitaines, leſquels, aueugles qu’ils ſont, & veautrez dans leur auarice, ont laiſſé prendre pied ſi auant aux forces de mon ennemy, que i’ay belle peur que lors qu’ils le voudront tenir en bride, ils ne le puiſſent faire, ou s’ils le peuuent, que ce ne ſoit auec vne grande deſpenſe. Ie voulus reſpondre à ces paroles qu’il m’auoit dites auec vn extréme reſſentiment, mais il me défit toutes mes raiſons par des veritez ſi claires, que ie n’eus plus le courage de luy faire aucune reſponſe, pour n’auoir dequoy contredire toutes ſes plaintes. D’ailleurs, il me repreſenta pluſieurs actions aſſez noires & criminelles, dont il chargeoit quelques particuliers, dequoy ie ſuis bien content de ne rien eſcrire, tant pour ne m’eſloigner de mon recit, que pour n’auoir fait deſſein de deſcouurir les fautes d’autruy. Pour concluſion de ſon diſcours, il me dit le peu de chaſtiment ordonné aux coupables de ces choſes, & les grandes recompenſes qu’il auoit veu faire à ceux qui ne l’auoient point merité. À quoy il adiouſta, que ſi le Roy deſiroit d’accomplir entierement le deuoir de ſa charge, & conqueſter par armes des peuples ſi eſloignez de ſon Royaume, & les conſeruer, il luy eſtoit auſſi neceſſaire de punir les meſchans, que de recompenſer les gens de bien. Toutesfois, que ſi par aduenture il eſtoit tel, de croire que la non-