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de Fernand Mendez Pinto.

Cependant il arriua vn Ambaſſadeur du Roy d’Aaru, pour luy demander ſecours de gens, enſemble quelques munitions de guerre, comme de la poudre, & des bales, pour ſe deffendre d’vne groſſe flotte que le Roy d’Achem faiſoit acheminer contre luy, en intention de le priuer de ſon Royaume ; & nous pouuoir eſtre plus proche voiſin, afin qu’ayant gaigné ce paſſage, il luy fuſt a l’aduenir plus facile d’enuoyer ſes armes contre noſtre fortereſſe de Malaca ; ioinct que depuis peu trois cens Turcs luy eſtoient venus du détroit de la Mecque : dequoy Pedro de Faria ne fut pas ſi toſt aduerty, que ſe repreſentant combien importante eſtoit ceſte affaire au ſeruice du Roy, & à la conſeruation de la fortereſſe, il en donna aduis à Dom Eſtienne de Gama, qui apres l’auoir receu, fut encore Capitaine de ce meſme Fort, par l’eſpace de ſix ſemaines. Cela fut cauſe en partie qu’il s’excuſa enuers luy de traitter du ſecours dont il eſtoit queſtion, diſant que le temps de ſon Gouuernement s’en alloit eſcheu, & que luy commençant le ſien, le deuoir de ſa charge l’obligeoit à diſpoſer de cette affaire, & à penſer au danger qui le menaçoit.

À ces paroles Pedro de Faria fit reſponſe, que s’il vouloit renoncer au temps qui luy reſtoit d’eſtre Gouuerneur, ou luy donner vne libre commiſſion de diſpoſer des magazins publics, il pouruoiroit au ſecours qu’il iugeroit neceſſaire. En vn mot ſans m’amuſer à deſduire au long ce qui ſe paſſa entre l’vn & l’autre, il me ſuffira de dire que cet Ambaſſadeur fut entierement eſconduit de ſa demande par ces deux Capitaines, dont l’vn luy dit pour excuſe, qu’il n’eſtoit encore entré en charge, & l’autre qu’il ſe voyoit ſur le point de finir la ſienne : il s’en retourna fort mal ſatisfait de ce refus, & euſt vn ſi grand reſſentiment de l’iniuſtice qu’il croyoit eſtre faite à son Roy, que le meſme matin qu’il s’embarqua, ayant rencontré fortuitement ces deux Capitaines à la porte de la fortereſſe, il dit tout haut deuant eux publiquement, & la larme aux yeux. O Dieu ! qui par vn pouuoir & vne Maieſté ſouueraine, regnes au plus haut de tous les Cieux, c’eſt maintenant qu’auec des ſouſpirs arrachez du plus profond de mon ame, ie te prends