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Voyages Aduventureux

femme, accompagnée d’autres gens beaucoup plus nobles & mieux veſtus que ceux qui eſtoient venus au deuant de moy. D’abord cette vieille m’ayant faict ſigne de la main, comme ſi elle m’euſt commandé d’entrer. Homme de Malaca, me dit-elle, ton arriuée en ces terres du Roy mon Maiſtre, eſt außi agreable à ſa volõté, que la pluye l’eſt au labourage de nos ris en vn tẽps ſec & aride. Entre donc en toute aſſeurance, & que rien ne te donne de l’apprehenſion ; car les peuples que tu vois icy par la bonté de Dieu, ne ſont pas autres choſes que ceux de ton pays, ſi bien que l’eſperance que nous auons en ce meſme Dieu nous faict croire qu’il nous maintiendra tous enſemble iuſqu’à la fin du monde. Cela dit, elle me mena où eſtoit le Roy, à qui ie fis vne reuerence à la mode du pays, mettant par trois fois le genoüil en terre, puis ie luy baillay la lettre & le preſent que ie luy apportois, qu’il accepta tres volontiers, & me demanda le ſuiet qui m’amenoit là ? À quoy ie luy fis reſponse ſelon la commiſſion que i’en auois, que i’eſtois venu pour ſeruir ſon Alteſſe à la guerre, où i’eſperois auoir l’honneur de l’acompagner, & de ne le quitter point iuſqu’à ce qu’il s’en retournaſt vainqueur de ſes ennemis. À cela i’adiouſtay que ie deſirois voir la ville d’Achem, enſemble ſa ſituation, ſes fortifications, & quel fonds auoit la riuiere, pour m’eſclaircir ſi les grands vaiſſeaux, & les Galions y pourroient nauiger ayſément, à cauſe que le Capitaine de Malaca auoit fait deſſein de venir ſecourir ſon Alteſſe, ſi toſt que ſes gens ſeroient de retour des Indes, & de luy liurer entre les mains le Tyran Achem, qui eſtoit ſon ennemy mortel. Ce pauure Roy creut tout auſſi toſt mes paroles pour veritables, & ce d’autant plus qu’elles eſtoient conformes à ſon deſir ; de maniere que s’eſtant leué du Throſne où il eſtoit aſſis, ie vis qu’il s’alla mettre à genoux deuant la carcaſſe de la teſte d’vne vache, couronnée de fleurs, qui auoit les cornes dorées, & qui eſtoit ſur des tablettes, enfoncée dans la muraille ; alors ayant les mains iointes, & les larmes aux yeux ; Toy, dit-il, qui ſans eſtre contraincte par aucun amour maternele, à laquelle la nature t’ait obligée, reſioüis continuellement tous ceux qui veulent de ton laict, comme faict la propre mere celuy qu’elle a mis au monde, ſans