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de Fernand Mendez Pinto.

loit eſtre le premier en ce voyage, que les vns & les autres vindrent à ſe diuiſer par trouppes, & à faire diuers partis ; de maniere que les armes à la main ils mirent preſſe à l’achapt des marchãdiſes qu’il y auoit en toute cette contrée ; ce qui fut cauſe que les marchands Chinois voyans combien eſtoit deſreiglée l’auarice des noſtres, mirent leur marchãdiſe à ſi haut prix, que là où le Pico de ſoye ne valoit alors que 40. Taeis, il ſe monta à 160. deuant qu’il fuſt 8. iours encore les marchands le ſembloient donner à contre-cœur, & comme l’on dit, leur corps defendant. Ainſi par le moyen de cette conuoitiſe, & de ce deſreiglé appetit de gagner, dãs 15. iours neuf Iuncos qu’il y auoit alors au port furent preſts à partir, bien que pour en dire le vray ils fuſſent tous ſi mal en ordre & ſi deſpourueus, que quelques-vns d’entr’eux n’auoient pour Pilotes que leurs Maiſtres meſmes, qui n’auoient aucune cõnoiſſance de la nauigation. En ce mauuais ordre ils partirent tous de cõpagnie vn Dimanche matin, quoy qu’ils euſſent le vent, la ſaiſon, la mer, & toute autre choſe contraire ; joint qu’ils ne ſe laiſſoient guider, ny par la raiſon, ny par la cõſideration des dangers que peuuent encourir ceux qui vont ſur cet element. Car ils eſtoient ſi obſtinez & ſi aueuglez, qu’ils ne ſe repreſentoient aucun incõuenient, & ie fus moy-meſme ſi malheureux, que ie me mis dans vn de leurs vaiſſeaux en leur compagnie. De cette façon ils firent voile tout ce iour là, cõme à taſtons entre les Iſles & la terre ferme. Mais enuiron la minuit il ſuruint par l’obſcurité vne ſi grande tempeſte, accõpagnée d’vne horrible pluye, que ſe laiſſans emporter à la mercy du vent, ils s’eſcoüerent ſur les bancs de Gotom, qui ſont de 38. degrez, où de neuf Iuncos qu’ils eſtoient, il n’y en euſt que deux qui s’eſchapperẽt par vn grand miracle. Tellement que tous les autres ſept furent perdus, ſans qu’il y euſt pas vn homme qui s’eſchappaſt. Laquelle perte fuſt eſtimée ſe monter à plus de 300. mille ducats de marchandiſe, ſans y comprendre l’autre plus grãde, qui fut de 600. perſonnes qui y laiſſerent la vie, dõt il y auoit 140. Portugais, tous hommes riches & honorables. Quant aux deux autres Iuncos qui reſterent, dans l’vn deſquels ie