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Voyages Aduentureux

pour condamné à vne mort de ſang, de feu, d’eau, & de ſouffles de vent ; car tu ſeras deffait & deſmembré en l’air comme les plumes des oyſeaux morts, que le vent emporte de part & d’autre, ſeparées des corps auec qui ils s’entretenoient durant leur vie. Cela dit, il me donna vn grand coup de pied pour m’eſueiller, & s’eſcria derechef : parle, confeſſe qui ſont ceux qui t’ont corrompu ? quelle ſomme d’argent t’ont-ils donnée ? comment s’appellent-ils ? & où eſt ce qu’ils ſont maintenant ? À ces mots eſtant vn peu reuenu à moy, ie luy reſpondis que Dieu le ſçauoit, & que ie le prenois pour iuge de cette cauſe. Mais luy qui ne ſe contentoit pas de ce qu’il auoit fait, recommença ſes menaces plus fort que iamais, & me mit deuant les yeux vne infinité de tourments & de choſes terribles. À quoy ſe paſſerent plus de trois heures, durãt lequel temps il pluſt à Dieu que le ieune Prince reuinſt à luy. Alors il n’euſt pas pluſtoſt veu le Roy ſon pere, enſemble ſa mere, & ſes ſœurs qui ſe fondoient en larmes, qu’il les pria de ne point pleurer, & qu’en cas qu’il vinſt à mourir il n’attribuaſſent ſa mort qu’à luy-meſme qui en eſtoit la ſeule cauſe ; les coniurant derechef par le ſang où ils le voyoient trẽpé, qu’ils me fiſſent deſlier ſans autre delay, s’ils ne le vouloiẽt faire mourir de nouueau. Le Roy bien eſtonné de ces langages, me fit incontinent oſter les manottes qu’on m’auoit miſes, & cependãt voila ſuruenir quatre Bonzes pour luy appliquer des remedes, mais lors qu’ils virent de quelle façon il eſtoit accommodé, & comme ſon poulce ne ſe tenoit qu’à la peau, ils ſe troublerent ſi fort de cela, qu’ils ne ſçauoient qu’en dire : À quoy le bleſſé ayant pris garde ; Sus, dit-il, qu’on me faſſe sortir d’icy ces demons, & que d’autres viennent qui ayent plus d’eſprit que ceux-cy à iuger de mon mal, puis qu’il a pleu à Dieu de me l’enuoyer. À l’heure meſme l’on fiſt ſortir les quatre Bonzes, & il en vint autres quatre à leur place, qui n’eurẽt iamais la hardieſſe de le panſer. Ce qu’ils n’eurẽt pas pluſtoſt dit au Roy, que de tristeſſe qu’il en euſt, il ne fut pas capable d’aucune conſolation. Neantmoins il ſe reſolut enfin de ſe ſeruir là dessus du conſeil de ceux qui eſtoient prés de luy, qui furent d’aduis d’enuoyer chercher