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Voyages Aduentureux

de pots tous pleins de feu d’artifice, ſi bien qu’à la fin il y euſt trois voiles bruſlées, à ſçauoir deux du Corſaire, & vne des noſtres, qui eſtoit le Iunco ou eſtoient les cinq Portugais que nous ne pûſmes iamais ſecourir, pource qu’en ce temps-là la pluſpart des noſtres eſtoient bleſſez. Mais enfin enuiron le ſoir nous eſtans bien rafraiſchis du zephyr de l’apreſ-dinée, il plût à noſtre Seigneur nous faire eſchapper des mains de ces Pyrates. Ainſi tout mal équippez que nous eſtions, nous continuaſmes noſtre route trois iours durant, à la fin deſquels nous fuſmes accueillis d’vne ſi grande & ſi impetueuſe tempeſte, que cette meſme nuit qu’elle nous attaqua nous perdiſmes la coſte ; & d’autant que l’impetuoſité du vent ne nous permiſt iamais de l’aborder derechef, il nous fût force d’arriuer en pouppe en l’Iſle des Lequiens, où le Corſaire qui nous menoit eſtoit grandement cognu, tãt du Roy, que de ceux du pays. Auec cette reſolutiõ nous nous miſmes à nauiger par cet Archipelago de l’Iſle, où toutesfois nous ne pûſmes prendre terre, pour n’auoir aucũ Pilote qui ſceuſt gouuerner le vaiſſeau, pource que le noſtre eſtoit mort en la dernier meſlée, joint que nous nauigions auec des vents Nord-eſts qui nous eſtoiẽt contraires, & les marées auſſi. Parmy tant de trauerſes nous bordegaſmes vingt-trois iours d’vn rhomb de l’autre auec aſſez de trauail, à la fin deſquels Dieu nous fiſt la grace de deſcouurir la terre, d’où nous approchant pour voir ſi nous n’y remarquerions point quelque apparence de port, ou de bon ancrage, nous apperceuſmes du coſté du Sud, preſque vers l’horizon de la mer vn grand feu ; ce qui nous fiſt croire qu’en ce lieu nous trouuerions poſſible quelque bourg, où pour noſtre argent nous aurions moyen de nous fournir d’eau douce, dont nous auions grand beſoin. Ainſi nous allaſmes ſurgir tout deuant l’Iſle à ſeptante braſſes, & viſmes à meſme temps s’en venir à nous de terre deux petites Almedias, dans leſquelles il y auoit ſix hommes, qui apres auoir joint noſtre bord en nous faiſant des compliments à leur mode, nous demanderent d’où venoit le Iunco ? à quoy leur ayant fait reſponce qu’il venoit de la Chine auec de la marchandiſe en intention de faire quelque commerce en ce lieu, ſi l’on en donnoit la permi-