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Voyages Aduventureux

ſorte d’inhumanité dans cette obſcure priſon. Le lendemain matin de neuf que nous y eſtions entrez, il s’en treuua deux de morts, dont l’vn ſe nommoit Nuno Delgado, & l’autre André Borges, tous deux hommes de courage, & de bonne famille. Le iour precedent comme on les pourmenoit par la Ville auecque nous, le malheur voulut qu’ils receurent ſur la teſte deux coups, qui penetroient ſi auant, qu’ils furent cauſe de leur mort ſi prompte, & pour n’en auoir eſté penſez aſſez à temps. Le matin venu, le Geolier, qu’ils appellent en leur langue Mocadan, s’en alla dans le cachot, où treuuant morts les deux Chreſtiens nos compagnons, ſans les oſer toucher, ny emporter hors de là, il referma promptement la priſon, & s’en alla dire la nouuelle de leur mort au Guazil de la Iuſtice, que nous appellons Seneſchal, ou Iuge, lequel s’y en vint en perſonne, ſuiuy d’vn aſſez bon nombre d’Officiers, & de beaucoup d’autres gens, auec vn grand & redoutable appareil. Puis, apres auoir commandé qu’on leur oſtaſt leurs fers, il les fiſt lier par les pieds auec vn cercle. Cela faict, voyla qu’à l’inſtant on ſe meit à les traiſner hors de la prison, & de-là par toute la Ville, dont les habitans, iuſques aux enfans, les pourſuiuirent à la foule à grands coups de pierres, iuſqu’à ce qu’en fin laſſez de bourreler de cette ſorte ces pauures corps, ils les ietterent dans la mer tous par pieces. Le lendemain apres midy, nous autres ſept, qui eſtions reſtez en vie, fuſmes attachez tous enſemble, & menez en la place publique pour y eſtre vendus à l’encant. Là tout le peuple s’eſtant aſſemblé, ie fus le premier que l’on meit en vente. Alors comme le crieur euſt offert tout haut de me liurer à quiconque me voudroit achepter, voila que le Cacis Malana, qui eſtoit ce meſme imposteur qu’ils tenoient pour Sainct, & qui leur preſchoit que l’on gaignoit les pardons à nous faire du mal, ſe treuua là tout incontinent, ayant à ſa ſuitte dix ou douze autres Cacis ſes inferieurs, tous Preſtres comme luy de leur malheureuſe ſecte. À ſon arriuée, s’adreſſant à Heredim Sofo, Capitaine de la Ville, qui preſidoit à cét encant, il luy demanda que par aumoſne il euſt à nous enuoyer à la maiſon de la Mecque, diſant qu’il eſtoit preſt à s’y en retourner, & qu’ayant reſolu de faire ce pelerinage au nom de tout le peuple, il n’eſtoit pas rai-