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de Fernand Mendez Pinto.

qui eſtoient venus du bout du monde par mer, & luy auoient pris Malaca. Cet homme nous raconta pluſieurs autres choſes ſur ce ſujet, & des particularitez incroyables, dont il eſt fait mention en vn liure qui en a eſté imprimé. Or d’autant qu’il y auoit deſia pres de trois ans qu’il eſtoit en Cour, continuant la pourſuite de ce ſecours, qui luy eſtoit deſia accordé par les Chaems du gouuernement, comme l’on en faiſoit deſia les preparatifs, ſa mauuaiſe fortune voulut qu’vne nuict en ſouppant il tut ſurpris d’vne apoplexie, dont il mourut au bout de neuf iours ; de maniere que voyant qu’vne mort inopinée l’emportoit, extremément affligé de ce que ce qu’il eſtoit venu demander n’auoit peut reüſſir, il exprima cet ardant deſir de vengeance, par l’inſcription qu’il fiſt mettre ſur ce tombeau où il eſt enſeuely afin que la poſterité ſçache ce qu’il eſtoit venu faire icy. A pres cela nous partiſmes incontinent de ce lieu, & continuaſmes noſtre route à mõt la riuiere, qui de ce coſté là n’eſt pas ſi large que vers la ville de Nanquin ; mais le païs y eſt auſſi plus peuplé de villages, bourgs & iardins, que ne ſont tous les autres endroits ; car d’vn ject de pierre à l’autre l’on rencontre touſiours quelque Pagode, ou quelques maiſons de laboureurs, ou gens de trauail : paſſant plus auant enuiron deux lieuës, nous arriuaſmes à vn grand carrefour enuironné de groſſes grilles de fer, au milieu duquel eſtoient debout deux groſſes ſtatuë de bronze, appuyées à des colomnes de fonte de la groſſeur d’vn muid, & hautes de ſept braſſes, l’vne d’hõme & l’autre de femme, l’vn & l’autre monſtre de ſeptante quatre pans de hauteur, & auoient les deux mains dans leurs bouches, les iouës fort enflées, & les yeux ſi égarez, qu’ils faiſoient peur à tous ceux qui les regardoient. Celuy de ces monſtres qui repreſentoit vn homme, s’appelloit Quiay Xingatalor, & l’autre qui auoit la figure d’vne femme eſtoit nommé Apancapatur ; comme nous euſmes demandé à ces Chinois l’explication de ces figures, ils reſpondirent que le maſle eſtoit celuy qui auec ces iouës enflées ſouffloit le feu d’enfer pour tourmenter tous ces miſerables, qui n’auoient daigné donner l’aumoſne en cette vie ; mais que pour le regard de la femme elle eſtoit portiere d’en-