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Voyages Aduentureux

& là ſur tout il y a grande quantité de viures de toutes les ſortes qu’on pourroit s’imaginer, principalement des fruits & de chair. L’on ne ſçauroit dire combien est grande l’abondance du poiſſon qui ſe peſche dans cette riuiere, principalement de ſoles & de ſurmulets, qui ſont vendus tous en vie & attachez à des ioncs, qu’on leur paſſe par les narines, ſans y comprendre le poiſſon de mer fraiz, ſec & ſalé, dont l’abondance y eſt infinie. Nous appriſmes de quelques Chinois, qu’il y auoit en cette ville dix mille meſtiers pour accommoder les ſoyes, que l’on enuoyoit de là par tout le Royaume. La ville eſt enuironnée d’vne muraille grandement forte, faite de belle pierre de taille. Le nombre des portes eſt de cent trente, à chacune deſquelles il y a vn portier, & deux hallebardiers, qui ſont obligez à chaſque iour de rendre compte de tout ce qui eſt entré & ſorty. Il y a auſſi douze Roquetes ou Citadelles à la façon des noſtres, enſemble des bouleuarts & des tours fort hautes, qui neantmoins ne ſont munies d’aucunes pieces d’artillerie. Ces meſmes Chinois nous dirent que cette ville rendoit tous les iours au Roy deux mille Taeis d’argent, qui valle trois mille ducats, comme i’ay déja dit pluſieurs fois. Ie ne parle point icy du Palais Royal, pour ne l’auoir veu que par dehors. Les Chinois neantmoins nous en dirent de ſi grandes choſes, qu’elles ſont capables de cauſer de l’eſtonnement, c’eſt pourquoy ie n’en feray point de mention : car auparauant que paſſer outre, mon intention eſt de raconter ce que nous viſmes dans la ville de Pequin. Ce que ie puis affirmer au vray pour l’auoir veu ; & toutesfois il faut que i’aduoüe, que i’apprehende d’eſcrire ſi peu que i’en diray, non que cela doiue ſembler eſtrange à ceux qui auront veu & leu les grandes merueilles du Royaume de la Chine ; mais bien pource que i’ay peur que ceux qui voudrõt comparer les merueilles qu’il y a dans les contrées qu’ils n’õt pas veuës, auec ce peu qu’ils ont veu dans les païs où ils ont eſté nourris, ne mettent en doute, ou poſſible ne refuſent tout à fait d’adiouſter foy à ces veritez, pour n’eſtre conformes à leur entendement, ny à leur peu d’experience.