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de Fernand Mendez Pinto.

en patience la peine à laquelle la chair s’oppoſe touſiours, comme reueſche qu’elle eſt & inſupportable. Car comme l’oyſeau ne peut voler ſans ſes aiſles, ainſi l’ame ne peut mediter ſans les œuures. Pour le regard de la lettre que vous nous demandez, nous vous la donnerons tres-volontiers, attendu qu’elle vous ſera grandement neceſſaire, afin que la faueur des gens de bien ne vous manque point au beſoin. Là deſſus ils nous donnerent vn ſac plein de riz, enſemble quatre Taeis en argent, & vne couuerture pour nous couurir ; puis nous ayant grandement recõmandez au Chifuu, qui eſtoit l’Officier de Iuſtice qui nous conduiſoit, ils prirent congé de nous en termes pleins de courtoiſie, & s’en retournerent à l’infirmerie de la priſon, dont i’ay parlé cy-deuant, où il y auoit plus de trois cent malades, voila ce qui nous arriua ce iour là : le lendemain ſi toſt qu’il fut iour ils nous enuoyerent la lettre que nous leur auions demandée, ou ſe voyoient trois cachets de cire verte, les paroles en eſtoiẽt telles, Seruiteurs de ce haut Seigneur, miroüer reſplandiſſant d’vne lumiere incrée, deuant qui nos merites ne ſont rien à comparaiſon des ſiens, nous les moindres ſeruiteurs de cette ſainte Maiſon de Tauhinarel, fondée en faueur de la cinquieſme priſon de Nanquin, auec de veritables paroles du reſpect que nous vous deuons, nous faiſons ſçauoir à vos tres-humbles perſonnes, que ces neuf eſtrãgers qui vous rendront cette lettre, ſont des hommes d’vn pays & d’vne terre forte eſloignée, dont les corps & les liens ont eſté ſi impitoyablement & ſi cruellement traitez par la faueur de la mer, que ſuiuant leur rapport de nonante-cinq qu’ils eſtoient, eux ſeuls ont eſchappé du naufrage, la tempeſte & la tourmente les ayant iettez, ſur le bort des Iſles de Tautaa, en la coſte de l’enſe de Sumbor, & de Fanjus. Ainſi, tous ſanglans qu’ils eſtoient, & couuerts de playes comme nous l’auons veu de nos propres yeux, mendians leur vie d’vn lieu à l’autre a ceux que la charité obligeoit de leur donner quelque choſe, comme c’eſt la couſtume des gens de bien. Mais cependant le malheur voulut pour eux, que ſans aucune ſorte de Iuſtice ny de raiſon ils furent pris par le Chumbin de Taypor, & enuoyez à cette cinquieſme priſon de Fanjau, où d’abord ils furent condamnez à auoir le foüet, ce qui fut incontinent executé par les miniſtres du bras courroucé, comme il ſe peut voir par le rapport qui