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de Fernand Mendez Pinto.

monſtration d’eſtre touchez de nos larmes, ils nous demanderent qui nous eſtions, & dequel païs, enſemble pourquoy l’on nous retenoit là priſonniers. A quoy nous fiſmes reſponſe en pleurant, que nous eſtions eſtrangers, natifs du Royaume de Siam, & d’vne contrée qui s’appelloit Malaca. Qu’au demeurant, comme nous eſtions marchands, & aſſez bien pourueus des commoditez du monde, nous eſtans embarquez auec nos marchandiſes en intention de gagner le port de Liampoo, nous auions fait naufrage vis à vis des Iſles de Lamau, & perdu là tout noſtre bien ſans ſauuer autre choſe que nos miſerables perſonnes en l’équipage qu’ils nous voyoient. En ſuite de cela nous adiouſtaſmes qu’ainſi maltraittez de la fortune, eſtant arriuez à la ville de Taypor le Chumbim de la Iuſtice nous auoit pris ſans aucun ſujet, nous faiſant acroire que nous eſtions des voleurs & des vagabõds, qui pour fuïr le trauail nous en allions gueuzant de porte en porte, entretenant noſtre faineantiſe des aumoſnes qui nous eſtoient données iniuſtement ; dequoy le Chumbim ayant fait des informations à ſa volonté, comme eſtant Iuge & partie, il nous auoit mis aux fers dans la priſon où depuis quarante-deux iours nous endurions beaucoup de faim & des trauaux incroyables, ſans qu’il ſe trouuaſt perſonne qui nous vouluſt oüir en nos iuſtifications ; tant pour n’auoir dequoy faire des preſens pour maintenir noſtre droit, que pour ne ſçauoir parler la langue du païs. Pour concluſion nous leur diſmes, que cependant ſans aucune connoiſſance de cauſe, l’on nous auoit condamnez au foüet, & meſme à auoir les poulces coupez, comme des larrons ; de ſorte que nous en auions deſia eſprouué la premiere peine, auec tant de rigueur & de cruauté que les marques n’en paroiſſoient que trop viſibles ſur nos miſerables corps ; & qu’ainſi nous les coniurions par la charge qu’ils auoient de ſeruir Dieu en aſſiſtant les pauures affligez, de ne nous abandonner à ce beſoin, puis que noſtre extreme pauureté nous rendoit odieux à tout le monde, & nous expoſoit à ſouffrir quantité d’affronts. Ces deux hommes nous ayant eſcoutez attentiuement demeurerent tous penſifs & tous eſtonnez des paroles