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de Fernand Mendez Pinto.

Nanquin, ſi nous euſſions eu vne guide. Mais à faute de ſçauoir le chemin, nous égarans à tout coup nous ſouffrſmes beaucoup durant ce temps-là, & couruſmes de grands dangers. A la fin nous arriuaſmes à vn village appellé Chautir, au temps qu’on y faiſoit des funerailles de grande deſpenſe pour la mort d’vne femme fort riche, qui auoit desherité ſes parẽs, & laiſſé ſon bien au Pagode de ce village où elle eſtoit enſeuelie, comme nous l’appriſmes des habitans. Nous fuſmes donc inuitez à ces funerailles comme les autres pauures, & ſuiuant la couſtume du païs nous mangeaſmes ſur la foſſe de la defunte. A la fin des trois iours que nous fuſmes en ce lieu, qui fut le temps que ces funerailles durerent, l’on nous donna ſix Taeis d’aumoſne, à condition qu’en toutes nos oraiſons nous prierions Dieu pour l’ame de la defunte. Eſtans partis de ce lieu nous continuaſmes noſtre chemin vers vn autre village nommé Guinapalir, d’où nous fuſmes preſque deux mois à voyager de païs en païs, iuſqu’à ce qu’en fin noſtre mauuaiſe fortune nous fiſt arriuer à vne ville nommée Taypor. Or d’autất qu’il y auoit là vn Chumbim, c’est à dire vn de ces Intendans de la Iuſtice, qui de trois ans en trois ans ſont enuoyez par les Prouinces, pour faire le rapport au Roy de ce qui s’y paſſe ; ce mauuais homme voyant que nous allions ainſi mendiant de porte en porte, nous appella d’vne feneſtre où il eſtoit, & voulut ſçauoir de nous qui nous eſtiốs, & de quelle nation, enſemble quelle choſe nous obligeoit à courir ainſi le monde ? Nous ayant fait ces demandes en la preſence de trois Greffiers, & de pluſieurs perſonnes qui s’eſtoient aſſemblées pour nous voir, nous luy reſpondiſmes que nous eſtions eſtrangers, natifs du Royaume de Siam, qui pour nous eſtre perdus par vne fortune de mer, nous en allions ainſi voyageant & mendiant noſtre vie, afin de nous ſuſtenter des aumoſnes des gens de bien, en attendant que nous pûſſions arriuer à Nanquin où nous allions en intention de nous y embarquer dans quelqu’vne des Lanteaas des marchands pour aller à Canton, où eſtoient les vaiſſeaux de ceux de noſtre nation. Voila la reſponſe que nous fiſmes au Chumbim, qui s’en fuſt contenté ſans doute, & nous euſt laiſſé aller, ſans l’vn de ces Greffiers