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Voyages Aduentureux

que nous euſmes rendu graces à Dieu, le vieillard qui le remarqua fort bien, hauſſant les deux mains au Ciel, & ne pouuant retenir ſes larmes, Seigneur, dit-il, qui viuez regnant en la trãquillité de voſtre haute Sapience, ie vous louë en toute humilité, de ce que vous permettez que des hommes qui ſont eſtrãgers, venus du bout du mõde, & ſans connoiſſance de voſtre doctrine, vous rendent graces & vous donnent loüanges conformément à leur foible capacité, ce qui me fait croire que vous les accepterez d’außi bonne volonté, que ſi c’eſtoit quelque grande offrande d’vne Muſique melodieuſe & agreable à vos oreilles. Alors il nous fit donner trois pieces de toile de lin, & quatre Taeis en argent, nous priant de paſſer la nuit en ce lieu, à cauſe qu’il eſtoit deſia bien tard pour nous remettre en chemin. Nous acceptaſmes cette offre tres-volontiers, & par les complimens que nous luy rendiſmes à la mode du païs nous teſmoignaſmes de luy en ſçauoir fort bon gré ; dequoy luy, ſa femme, & ſon fils receurent vn extréme contentement.




Comme de ce meſme lieu nous allaſmes à la ville de Taypor, & de quelle façon nous fuſmes faits priſonniers.


Chapitre LXXXIV.



Le lendemain ſi toſt qu’il fuſt iour nous priſmes congé de noſtre hoſte, & partant de ce lieu nous en allaſmes en vn village nommé Finginilau, qui eſtoit à quatre lieuës de la maiſon d’où nous eſtiõs partis. Là nous demeuraſmes trois iours, puis continuaſmes noſtre chemin d’vn lieu à l’autre, & de village en village. Car nous auions cela de recommandable de nous eſloigner touſiours des principales villes, de peur que la Iuſtice du païs ne trouuaſt à redire en nous à cauſe que nous eſtions eſtrãgers. De cette façon nous paſſaſmes preſque deux mois à voyager ſans receuoir aucun dommage de perſonne. Or il n’y a point de doute que durant ce temps-là il nous euſt eſté facile d’aller iuſques à la ville de