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de Fernand Mendez Pinto.

voulez touſiours parler où vous n’eſtes point appelléé ; mais ie m’aſſeure que ie vous feray perdre cette couſtume. A quoy la fille ſouſ-riant, Ie l’eſpere ainſi, luy dit-elle, mais auparauant ie vous prie de faire perdre la faim à ces pauures gens ; car pour le reſte ie la perdray toutes les fois qu’il vous plaira. Tout cela neantmoins ne pût empeſcher que le vieillard ennuyé de ſa maladie, ne ſe mit à nous interroger de pluſieurs choſes. Car il s’enquit de nous, qui nous eſtions, de quel païs, & où nous allions ? Par meſme moyen il nous fit beaucoup d’autres demandes ſemblables. A quoy nous luy reſpondiſmes ſelon le besoin que nous en auions, & luy racontaſmes, comme quoy, & en quel lieu nous auions fait naufrage, enſemble combien d’hommes s’eſtoient perdus auec nous, & comme ainſi eſgarez nous courions le monde ſans nous pouuoir reſoudre à choſe quelconque. Cette reſponſe rendit le vieillard penſif durant quelque temps, iuſqu’à ce qu’en fin ſe tournant du coſté de ſon fils, Et bien, luy dit il, qu’eſt-ce qu’il te ſemble de ce que tu viens d’ouïr dire à ces eſtrangers ? C’eſt à toy à imprimer bien auant leurs paroles dans ta memoire, afin que tu ſçaches connoiſtre Dieu, & luy rendre graces de ce qu’il t’a donné vn pere, qui pour t’exempter des trauaux & des neceſſitez de la vie, t’a eſpargné les trois plus belles choſes de cette contrée, dont la moindre vaut plus de cent mille Taeis, mais tu es d’vne humeur plus propre à t’amuſer à tuer vn lievre, qu’à retenir ce que ie te dis. A cela le ieune homme ne fit point d’autre reſponſe, ſinon qu’il ſe mit à ſouſ-rire, en regardant ſes deux ſœurs. Cependant le malade nous fit apporter des viures deuant luy, & nous commanda d’en manger. Ce que nous fiſmes tres-volontiers, à quoy il priſt vn merueilleux plaiſir pour eſtre fort degouſté à cauſe de ſa maladie. Mais les ieunes filles en prirent bien dauantage, & ne ceſſerent de railler auecque leur frere quand elles virent que nous mangions auecque les mains ; car cette couſtume ne s’obſerue point dans toute l’Empire de la Chine, où les habitans prenant leur repas ſe portent la viande à la bouche auec deux petits baſtons faicts en façon de fuſeaux. Apres