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de Fernand Mendez Pinto.

noſtre deſſein euſt reüſſi n’euſt eſté que la fortune ſi oppoſa. A l’heure de veſpres nous arriuaſmes en ce village où nous fuſmes nous mettre à couuert à l’ombre d’vne arbre qui eſtoit vn peu à l’eſcart. Mais nous fuſmes ſi malheureux que d’y trouuer trois garçons qui gardoient là quelque beſtail, leſquels ne nous eurent pas pluſtoſt apperceus que prenant la fuite ils ſe mirent à crier : Aux voleurs, aux voleurs, ce qui fit que les habitans accoururent incontinent, armés de lances & d’arbaleſtes, commençant à crier tout de meſme Nauacarunguee, nauacarunguee, c’eſt à dire, prenez les larrons, prenez les larrons, ſurquoy s’eſtant mis à courir apres nous, qui nous en fuyons, ils nous ſceurent ſi bien ioindre à grands coups de pierres & de baſtons, que nous en demeuraſmes tous bleſſez, & meſme vn des trois garçons que nous auions en mourut. Cependant, apres s’eſtre ſaiſis de nous ils nous lierent les bras par derriere, & nous menerent priſonniers dans le village. Là ils faillirent à nous aſſõmer à force de coups de poing & de ſoufflet qu’ils nous donnerent : puis nous plongerent dans vne ciſterne d’eau croupie, qui nous venoit iuſques à la ceinture, dans laquelle il y auoit vne infinité de ſangſuës. En ce miſerable lieu nous demeuraſmes deux iours, & creuſmes y auoir paſſé cent années d’Enfer, ſans que durant ce temps-là nous euſſions le moindre repos ny aucune choſe à manger. A la fin, le bon-heur voulut pour nous, qu’vn homme du village Suzoanganée d’où nous eſtions partis venant à paſſer par là, comme il ſceut par vn cas fortuit le traittement que ceux de ce village nous auoient fait, il les aſſeura par de grands ſerments, qu’ils ſe faiſoient tort de nous prendre pour des voleurs, & que nous eſtions de pauures eſtrangers perdus par vne tourmente de mer ; Qu’au reſte ils auoient commis vn grand peché de nous empriſonner, & nous traitter de cette ſorte : de maniere que le rapport de cét homme, Dieu nous fit la grace d’eſtre à l’heure meſme retirez de cette ciſterne, d’où nous ſortiſmes tous ſanglants pour la grande quantité de ſangſuës qui nous auoient mordus ; Et il eſt à croire que