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de Fernand Mendez Pinto.

qui s’aduançoient pres de nous. Là nous fuſmes à peine arriuez, que par ce roulement tout y fut mis en pieces. Alors nous attachant les vns aux autres, criant à haute voix, Seigneur Dieu miſericorde, de vingt-cinq Portugais que nous eſtions, il n’y en euſt que quatorze de ſauuez, tellement que les autres onze furent noyez auec dix-huit valets Chreſtiens, & ſept Mariniers Chinois. Voila combien grand fut ce deſaſtre qui arriua vn Lundy cinquieſme Aouſt, en l’année mil cinq cent quarante deux ; dequoy Dieu ſoit loüé pour iamais.




Des choſes qui nous aduindrent en ſuite de ce miſerable naufrage.


Chapitre LXXX.



Novs eſtans eſchappez, de ce naufrage par la miſericorde de Dieu, quatorze Portugais que nous eſtions, nous paſſaſmes toute cette iournée & la nuit ſuiuant à pleurer noſtre deſaſtre, & le miſerable eſtat où nous nous voyons reduits, ſans auoir moyen de nous conſeiller l’vn l’autre, tant à cauſe que ce païs eſtoit rude & fort raboteux, que pour ne trouuer perſonne à qui nous peuſſions demander aucune choſe que ce fuſt. Ayant conſulté là deſſus ſur le remede que nous pouuions auoir durant ce malheur, tant de maux & tant d’infortunes, nous reſoluſmes d’entrer plus avãt dans le païs, pource qu’il y auoit apparence que pres ou loing nous ne pouuions manquer de trouuer quelqu’vn, qui nous prenant pour eſclaues nous donneroit à manger, en attendant qu’il pluſt à Dieu terminer nos trauaux par la fin de nos vies. Auec cette reſolutiõ nous fiſmes quelque ſix ou ſept lieuës par des rochers, & deſcouuriſmes de l’autre coſté vn mareſcage auſſi large que noſtre veuë ſe pouuoit eſtendre, ſans que par de là il y eut apparence de terre ; cela fut cauſe que nous fuſmes cõtraints de rebrouſſer chemin, & de nous en retourner au meſ-