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de Fernand Mendez Pinto.

Auec cela en ſigne d’allegreſſe, & comme croyant deſ-jà nous tenir, ils firent retentir de leurs cris confus tout l’air d’alentour. Puis pour mieux nous brauer & nous eſtonner, ils nous monſtroient de temps en temps pluſieurs Banderoles, & bonnets, nous faiſant auſſi paroiſtre du haut de leur pouppe, quantité de Cymeterres tous nuds, dont ils faiſoient le molinet en l’air, ce qui paroiſſoit à trauers l’eſclat, & le cliquetis de leur armes. Par meſme moyen vſant contre nous de grandes menaces, ils diſoient que nous euſſions à les approcher, & nous rendre à eux. À cette premiere veuë pleine de tant de rhodomontades & de braueries, nous demeuraſmes en doute & fort eſtonnez ; Ce qui fut cauſe que les Capitaines de nos deux Fuſtes tinrent conſeil auec les ſoldats, pour ſçauoir ce qu’ils feroient, & conclurent pour l’aduis le plus aſſeuré, qu’on les battroit à grands coups d’artillerie, iuſques au lendemain matin ; & que le iour eſtant venu, on les pourroit combattre & inueſtir auec plus de facilité, n’eſtant nullement à propos de les laiſſer aller ſans leur faire emporter le chaſtiment qu’ils meritoient pour leur preſomption. En effet cela fuſt ainſi executé, & durant tout le reſte de la nuict nous leur donnaſmes la chaſſe, les combattans à coups de Canon. Ainſi le matin venu, leur Nauire ſe trouuãt fort mal traitté, & tout briſé ſe vint rendre entre nos mains. En cette rencontre 64. hommes des leurs y demeurerent ſur la place. De ſorte que de 80. qu’ils eſtoient, la pluſpart ſe voyans reduits aux extremitez, ſe ietterent dans la mer ; car ils aimoient bien mieux mourir dans l’eau, que ſe laiſſer bruſler par la grande quantité de pots, & de tels autres artifices de feu, que nous leurs auions lancez. Tellement que de tout ce nombre de 80. il n’en eſchappa que cinq fort bleſſés, dont l’vn eſtoit Capitaine du Nauire. Cettuy-cy par la force des tourmẽs auſquels il fuſt expoſé par le commandement de nos deux Capitaines, confeſſa qu’il venoit de Iudaa, d’où il eſtoit natif, & que l’armée Turqueſque eſtoit deſia partie de Suez, auec deſſein de prendre Adem, pour y faire par après baſtir vne fortereſſe deuant que s’en aller attaquer les Indes ; Qu’au reste cela eſtoit expreſſement porté par la commiſſion que le grand Turc en