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Voyages Aduentureux

qué dans ſes vaiſſeaux il trouua que de quarante-ſix mariniers Chinois qui eſtoient auec luy, trente-ſix s’en eſtoient fuys pour preuenir le danger qui luy pouuoit arriuer ; dequoy Antonio de Faria & tous ceux qui ſe trouuerent auec luy demeurerent ſi eſtonnez, que ioignant les mains & hauſſant les yeux au Ciel, ils furent quelque temps ſans pouuoir dire vn ſeul mot, ſi bien que leurs larmes ſuppleerent au defauts de leurs paroles, pour teſmoigner le ſecret reſſentiment qu’ils en auoient dans l’ame : car ayant bien remarqué pour lors ce qui leur venoit d’arriuer, & l’extreme danger où ils ſe voyoient tous reduits, la moindre choſe qu’ils pouuoient faire dans cette confuſion, c’eſtoit de perdre le courage & le iugement, & à plus forte raiſon la parole. Neantmoins il fut queſtion à la fin de prendre conſeil ſur ce qu’ils auoient à faire à l’aduenir, à quoy ils paſſerent vn long temps ſans rien reſoudre, à cauſe de la grande diuerſité d’opinions qu’il y auoit. Toutesfois il fut conclud en fin que nous pourſuiurions touſiours noſtre deſſein, & taſcherions de prendre quelqu’vn qui nous dit combien il y pouuoit auoir de là iuſques en l’Iſle de Calempluy, ce que nous ferions le plus ſecrettement qu’il nous ſeroit poſſible, de peur que le païs ne ſe reuoltaſt ; Qu’au reſte ſi par le rapport qu’on nous en feroit nous trouuions qu’il fut facile de l’attaquer, comme Similau nous auoit dit, nous paſſerions outre, ſinon, que nous retournerions deſcendre par le fil de l’eau qui nous meneroit droit à la mer où elle auoit ſon cours ordinaire. Ceſte concluſion priſe par l’auis de tous, nous continuaſmes noſtre route auec non moins de confuſion que de crainte ; car il ne ſe pouuoit faire autrement qu’en vn ſi manifeſte danger nous n’euſſions vne extreme apprehenſion de la mort. La nuit ſuiuante comme nous fuſmes preſqu’à la fin de la premiere garde, nous deſcouuriſmes au milieu de la riuiere par proüe vne barcaſſe laquelle y eſtoit à l’ancre. L’extreme neceſſité où nous eſtiõs reduits alors, nous obligea d’y entrer ſans faire aucun bruit : ce qu’ayant fait, nous y priſmes cinq hommes que nous y trouuaſmes tous endormis : Alors Antonio de Faria interrogea chacun d’eux en particulier, pour voir ſi tout ce qu’ils di-