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de Fernand Mendez Pinto.




De ce qui aduint à Antonio de Faria, iuſques à ſon arriuée en la montagne Gangitanou, & de la deformité des hommes auſquels il parla.


Chapitre LXXIII.



Continvant noſtre route à force de rames & de voiles, tournant la prouë par diuers endroits, à cauſe des grands deſtours de la riuiere, le lendemain nous arriuaſmes à vne fort haute montagne nommée Botinafau où couloient pluſieurs riuieres d’eau douce. En cette mõtagne il y auoit quantité de Tygres, de Rhinoceros, de Lyons, d’Onces, de Zeures, & d’autres tels animaux de diuerſes ſortes, leſquels ſautans & crians par vn naturel farouche, faiſoient vne cruelle guerre aux autres beſtes plus foibles, cõne Cerfs, Sangliers, Singes, Magots, Guenons, Loups & Renards ; à quoy nous priſmes vn merueilleux plaiſir, & nous amuſaſmes vn aſſez long-temps à les voir, meſmes des Nauires où nous eſtions nous criaſmes tous à la fois pour donner l’eſpouuante ; dequoy neantmoins ils ne s’effrayerent que bien peu, pour n’auoir accouſtumé d’eſtre pourſuiuis des chaſſeurs. Nous fuſmes enuiron ſix iours à paſſer cette montagne, qui pouuoit eſtre à quarante ou cinquante lieuës de chemin. Au ſortir de ce mont nous en trouuaſmes vn autre qui n’eſt pas moins ſauuage, & qui s’appelle Gangitanou, d’où paſſant outre, tout le reſte de ce païs eſt fort raboteux, & preſque inacceſſible. Dauantage il eſt plain de ſi eſpaiſſes foreſts, que le Soleil n’y peut communiquer ſes rayons, ny la force de ſa chaleur en aucune façon que ce ſoit. Similau nous dit, qu’en cette meſme montagne il y auoit enuiron nonante lieuës de terre deſerte, pour n’eſtre propre au labourage, & que ſeulement au bas de ce lieu habitaient certains hommes grandement difformes, appellez Gigauhos, qui viuoient brutalement, & ne ſe nourriſſoient d’autre chose que de la chaſſe qu’ils pouuoient