Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/262

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
244
Voyages Aduentureux

à la porte de l’Egliſe ; voila venir au deuant de luy pour le receuoir huit Preſtres reueſtus de chappes en broderie, & de toiles d’or & d’argent, qui allans en Proceſſion ſe mirent à chanter le Te Deum, A quoy reſpondit incontinent vn concert de pluſieurs belles voix entremeſlées à l’orgue, d’où ſe formoit vne muſique auſſi harmonieuſe qu’on ſçauroit ouïr dans la Chappelle de quelque grand Prince. En cét appareil il fut mené tout doucement iuſqu’au grand Autel, où il y auoit vn daiz de damas blãc, & pres d’iceluy vne chaire de velours incarnadin, & au bas d’icelle vn carreau du meſme velours. Il s’aſſit alors dans la chaire, & ouïſt vne grande Meſſe qui fut celebrée auec beaucoup de ceremonies, & vn concert merueilleux tant de voix que d’inſtrumens. La Meſſe acheuée ſuiuit la predication, qui fut faite par Eſtienne Nogueyra, homme d’aage fort honorable, & Curé du lieu. Mais de qui il faut aduoüer que pour la diſcontinuation de la chair, il eſtoit peu verſé en matiere de Sermons ; joint qu’il n’auoit du tout point de lettres ; & toutesfois ce iour là voulant paſſer pour ſçauant homme en vne ſolemnité ſi remarquable, il s’auiſa de faire monſtre de ſa belle Rhetorique. Pour cét effet il fonda tout ſon Sermon ſur les loüanges d’Antonio de Faria, & ce en termes ſi mal rangez, & ſi hors de ſon ſujet, que ce Chefen demeura tout honteux ; ce qui fut cauſe que quelques vns de ſes amis le tirerent trois ou quatre fois par ſon ſurplis pour l’obliger à ce taire, à quoy s’eſueillant comme en ſurſaut, & tournant le viſage vers ceux qui luy diſoient qu’il s’impoſaſt ſilence, Ie n’en feray rien, leur dit il, & ne laiſſeray pas de paſſer outre ; car ie ne dis rien qui ne ſoit veritable, & que ie n’afferme deſſus les ſaints Euangiles. Cela eſtant, laiſſez-moy parler ie vous prie, car i’ay fait vn vœu à Dieu de ne me deſiſter iamais des loüanges de Monſieur le Capitaine, à cauſe qu’il le merite bien pour m’auoir ſauué ſept mille ducats, que i’auois enuoyé d’emploitte dans le Iunco de Mem Taborda, que le chien de Coja Acem m’auoit deſia fait perdre en ce jeu : Que maudite ſoit außi l’ame d’vn ſi dangereux ioüeur, & d’vn ſi meſchant diable, & plaiſe à Dieu qu’il enporte à iamais la peine en Enfer, & dites tous Amen auec moy. Cette concluſion prouoqua ſi fort a rire toute l’aſſemblée,