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de Fernand Mendez Pinto.

dernier auec beaucoup de compliment il luy demandoit les priſonniers, & luy offroit pour leur rançon vne grande ſomme de deniers, luy promettant en outre vne correſpondãce, & vne amitié perpetuelle. Mais tant s’en faut que ce chien de Mandarin fuſt flechy par ces paroles, qu’au contraire il fiſt déchirer en pieces le pauure Chinois porteur de la lettre. Dequoy n’eſtant pas content il le fiſt mõſtrer du haut de la muraille à toute la flotte, afin de nous faire vn plus grand affront. Cét acte tragique fut cauſe qu’Antonio de Faria perdit entierement le peu d’eſpoir que quelques-vns luy donnoient de la deliurance des priſonniers ; ſurquoy les ſoldats irrités plus fort qu’auparauant, luy dirent, que puiſ-qu’il auoit reſolu de deſcendre en terre, il ne tardât pas dauantage, à cauſe que ce delay ne ſeruiroit qu’à donner loiſir aux ennemis de ramaſſer quantité de gens. Ce conſeil luy ſemblant fort bon, il s’embarqua tout incontinent auec ceux qu’on auoit choiſis pour cette action, qui eſtoient deſia tous preſts, & dõna ordre dans ſes Iuncos qu’on ne laiſſaſt de tirer continuellement sur la ville, ſur les ennemis & aux lieux où ils verroient des gens aſſemblés ; mais qu’ils ſe ſouuinſſent de n’en venir là que lors qu’ils ne ſeroient peſle meſle auec eux. Auſſi ayans mis pied à terre vn peu plus bas que la Rade, enuiron la portée d’vn faucõneau, il marcha ſans obſtacle le long du riuage & s’en alla droit à la ville ; cependant il y auoit quantité de peuple deſſus le haut des murailles où ſe voyoiẽt pluſieurs enſeignes de ſoye de differentes couleurs, & où ces barbares faiſoient vn grand bruit à force de fifres, de cloches & de tambours. Par meſme moyen auec leurs enſeignes & leurs bonnets ils nous faiſoient ſigne de nous approcher ; à quoy ils entremeſloient de grands cris, nous monſtrans par ces apparences exterieures le peu d’eſtat qu’ils faiſoient de nous. Apres que les noſtres ſe furent approchés des murailles vn peu plus loing que la portée d’vn mouſquet, voila que nous viſmes ſortir de la ville par deux differentes portes quelque mille ou douze cens hommes, ſelon ce que nous en peuſmes iuger, cent ou ſix vingt deſquels eſtoient montés ſur des cheuaux, ou pour mieux dire, ſur des aridelles bien maigres, auec leſquelles ils commencerent à courir par la campagne, pour