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Voyages Aduentureux

dirent incontinent conformément à noſtre deſſein. Or comme nous eſtions preſqu’à la fin de la derniere garde, ils s’approcherent de nous, & apres nous auoir ſalüez aſſez triſtement, il nous demanderent des nouuelles, tant du Capitaine General, que du reſte de la compagnie. A quoy nous leur fiſmes reſponſe, qu’auſſi-toſt qu’il ſeroit iour on leur en diroit, & que cependant ils euſſent à ſe retirer de là iuſqu’au lendemain, que le iour fût eſclaircy ; pource que les vagues eſtoient ſi hautes, que quelque deſaſtre pourroit bien s’en enſuiure. Le lendemain ſi toſt que l’eſtoille du iour cõmença de paroiſtre, deux Portugais s’en vindrent à nous du Iunco de Quiay Panjan, & voyant Antonio de Faria en l’équipage qu’il eſtoit dans le Iunco de Mem Taborda, pource que le ſien eſtoit deſia tout perdu, comme ils ſceurent le triſte ſuccés de ſa fortune, eux nous raconterẽt la leur, qui ne ſe treuua gueres meilleure que la noſtre ; car ils nous aſſeurerent qu’vne bouraſque de vent leur auoit ietté trois hommes dans la mer, auſſi loing de leur vaiſſeau comme vn ject de pierre, choſe à n’en point mentir qu’on n’auoit iamais veuë ny ouye. Par meſme moyen ils nous raconterent comme le petit Iunco s’eſtoit perdu auec cinquante hommes preſque tous Chreſtiens, donc il y en auoit ſept ſeulement de Portugais, dont le Capitaine eſtoit Nuno Preto, homme honorable & de grand eſprit ; dequoy il auoit donné de fort bonnes preuues aux aduerſitez paſſées ; auſſi fût ce bien auec vne extréme regret qu’Antonio de Faria appriſt vne ſi faſcheuſe nouuelle. En ce meſme temps arriua vne des deux Lanteaas deſquelles iuſqu’alors on n’auoit point ouy parler. Ceux qui eſtoient dedans nous raconterent pareillement les grandes fortunes qu’ils auoient courues, nous aſſeurerent que l’autre auoit rompu les cables & laiſſé ſes ancres en mer, & qu’à leur veuë elle s’eſtoit toute fracaſſée ſur le riuage, ſans que de tous ceux qui eſtoient dedans il ſe fuſt ſauué que treize perſonnes, dont il y auoit cinq Portugais & trois valets Chreſtiens, que ceux du païs auoient fait eſclaues & menés à vn lieu nommé Nonday, de maniere que par cette malheureuse tourmente ſe perdirent deux Iuncos & vne Lanteaa ou vne Lorcha, dans leſquels moururent plus de