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de Fernand Mendez Pinto.

violence contre le vaiſſeau, que nous apprehendions d’eſtre ſubmergez ou iettez contre les eſcueils, choſe qui eſtoit deſja arriuée à dix ou douze des noſtres, pour ne s’eſtre tenus ſur leurs gardes. Or comme le iour parût tout à fait, Dieu permiſt que le Iunco de Mem Taborda, & d’Antonio Anriquez nous deſcouurit, apres auoir eſté toute la nuict les voiles baiſſées, & le vaiſſeau chargé par prouë d’vne quantité de bois fait en radeaux à la Chinoiſe ; dequoy les officiers s’eſtoient aduiſez afin que le Nauire en ſupportaſt plus facilement la tourmente. Or ce Iunco ne nous euſt pas pluſtoſt deſcouuerts, qu’il s’en vint à nous ; de maniere que nous ayant joints, ceux qui eſtoient dedans nous ietterent vne grande quantité de baſtons liez à des cordes, afin que nous euſſions à nous y attacher, ce que nous fiſmes tout auſſi-toſt, & en cela il ſe paſſa bien vne heure de temps auec beaucoup de trauail, pour l’extréme deſordre, & le deſir qu’auoit vn chacun d’eſtre ſauué le premier. Ce qui fut cauſe qu’il y euſt vingt hommes de noyez, cinq deſquels eſtoient Portugais, auſquels Antonio de Faria euſt plus de regret qu’à toute la perte du Iunco, & à toute la marchandiſe qui eſtoit dedans, bien que la valeur n’en fuſt pas ſi petite, qu’elle ne paſſaſt plus de cent mille Taeis, & ce ſeulement en marchandiſe d’argent. Car la plus grand part du butin fait ſur Coja Acem, auoit eſté mis dans le Iunco d’Antonio de Faria, comme eſtant celuy de tous où il ſembloit y auoir moins de danger qu’aux autres vaiſſeaux, qui n’eſtoient ny ſi bons, ny ſi aſſeurez. Ainſi apres qu’auec beaucoup de peine & de danger nous fuſmes recoux dans le Iunco du meſme Taborda, nous employaſmes tout le iour en des plaintes continuelles, pour raiſon d’vn ſi malheureux ſuccés, ſans auoir aucune nouuelles de nos autres compagnons. Neantmoins il plût à noſtre Seigneur, qu’enuiron le ſoir nous deſcouuriſmes deux voiles, qui d’vn bord à l’autre faiſoient des voltes ſi courtes, qu’on euſt dit que ce n’eſtoit qu’à deſſein de couler le temps ; ce qui nous fiſt croire qu’elles eſtoient des noſtres. Or pource que la nuit s’auançoit, il ne fut point trouué à propos de nous y en aller, pour quelques raiſons que l’on donna là deſſus ; de maniere que leur ayant fait fanal ils nous reſpon-