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de Fernand Mendez Pinto.

de ceux qu’on auoit tuez le iour precedent. Il ne s’amuſa point à autre choſe, ſinon qui les fiſt tous ietter dans la mer. Il eſt vray que touchant celuy de Coja Acem, pour eſtre de condition plus releuée que les autres, & par conſequent digne d’vn plus grand honneur en ſes funerailles, il le fiſt prendre tout veſtu & armé qu’il eſtoit, & apres l’auoir fait mettre en quartiers, il commanda qu’on le iettat auſſi dans la mer. Tellement que pour digne ſepulture, & pour le merite de ſes œuures, ſon corps euſt pour tombeau le ventre affamé des lezards, dont il y en auoit grande quantité tout à l’entour de noſtre Iunco, qui venoient au deſſus de l’eau amorcez par l’appaſt de ceux qu’on y auoit deſia iettez ; par meſme moyen en lieu d’oraiſon, Antonio de Faria le precipitant dans la mer ainſi demembré, Va meſchant, luy dit-il, au fonds de l’Enfer où ton ame infuſe à preſent ioüiſt des delices de ton Mahomet, comme tu t’en allois hier publiant tout haut à ces autres chiens tels que toy. Là deſſus il fit venir deuant luy tous les eſclaues & les captifs qu’il auoit en ſa compagnie, enſemble tous les bleſſez, comme auſſi leurs maiſtres, auſquels il fit vne harangue de vray Chreſtien, comme il eſtoit veritablement, par laquelle il les pria au nom de Dieu de donner liberté à tous les eſclaues, comme ils luy auoient promis deuant le combat, les aſſeurant de leur ſatisfaire du ſien propre. A quoy ils reſpondirent tous enſemble, que puis qu’il auoit cela pour agreable, ils en eſtoient fort contens, & qu’il les mettoient deſlors en vne liberté perpetuelle. Dequoy il ſe fiſt vn traicté par eſcrit, que chacun ſigna, pource qu’on ne pût faire dauantage pour l’heure : depuis on leur donna generalement à tous leurs lettres de liberté. Apres cela l’on fit inuentaire de la marchandiſe la lus liquide qui ſe trouua, ſans y comprendre celle qui auoit eſté donnée aux Portugais, & le tout fut priſé à cent trente mille Taeis en lingots d’argent du Iappon. Cette marchandiſe qui eſtoit fort belle conſiſtoit en ſatins, damas, ſoyes torſes, taffetas, muſc, & porcelaines tres-fines ; car pour le ſur plus on ne le miſt point par eſcrit, & tous ces vols les Corſaires les auoient faits depuis la coſte de Sumbor iuſqu’à Fucheo, où il y auoit plus d’vn an qu’ils faiſoient des courſes.