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Voyages Aduentureux

ie vous prie & recommande expreſſement, meſme ie vous en coniure par le ſerment que vous faites, que vous ne preniez autres choſes de toutes ces marchandiſes que ce qui vous appartient ſeulement, & que vous auez apportées de Liampoo, tant pour vous, que pour les autres marchands qui auoient des biens dans voſtre vaiſſeau. Car ie ne vous en dõne pas dauantage, joint que cela ne ſeroit pas raiſonnable auſſi ; car ſi vous & moy le ſouffrions, nous ferions contre le deuoir de noſtre conſcience, moy en vous le donnant, & vous en le receuant. Apres qu’il eut parlé de cette ſorte, Mem Taborda & Antonio Anriquez, qui ne s’attendoient point à rien moins, ſe proſternerent à ſes pieds, & les yeux tous baignez de larmes le voulurent remercier de la courtoiſie qu’il leur faiſoit ; ce qu’ils ne peurent comme ils euſſent deſiré, à cauſe de l’abondance de leurs pleurs. Ainſi ſe renouuella pour lors le dueil des morts, qu’on auoit deſia enſeuelis en ce lieu, dont la terre ſe voyoit toute ſanglante. Alors ces deux Portugais ſe mirent incontinent en deuoir de recouurer leur marchandiſe, & s’en allerent par toute l’Iſle, prenant auec eux enuiron cinquante ou ſoixante valets, que les Maiſtres leur preſterent pour recueillir les eſtoffes de ſoye qui eſtoient moüillées, & que les ennemis auoient mis ſeicher en ſi grande abõdance qu’auec ce que les arbres en eſtoient couuerts, deux grandes maiſons en eſtoient encore pleines ; de celles qui n’auoient point eſté moüillées & des meilleures ; toutes leſquelles eſtoffes ſe montoient à ce qu’ils diſoient à quelques cent mille Taeis d’emploitte, à quoy plus de cent marchands auoient part, tant de ceux qui demeuroient dans Liampoo, qu’à Malaca, auſquels elles eſtoient enuoyées. Ainſi la marchandiſe que tous deux peurent recouurer valoit bien cent mille ducats, pour le regard du ſurplus, qui en faiſoit la tierce partie, il fut ou perdu, ou pourry, ſans qu’on en pût auoir aucunes nouuelles. Apres cette execution Antonio de Faria ſe retira dans ſon vaiſſeau, où il employa tout le reſte de la iournée à viſiter les bleſſez, accommoder les ſoldats, à cauſe que la nuict s’aduançoit. Le lendemain ſi toſt qu’il fit iour, il s’en alla au grand Iunco qu’il auoit pris, qui eſtoient plein de corps