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de Fernand Mendez Pinto.

malades & de bleſſez, que Coja Acem y auoit mis pour les y faire penſer. Parmy ceux-cy il y auoit quelques Mahumetans de ſes parens, & autres hommes de courage qui eſtoient à ſa ſolde, iuſqu’au nombre de nonante ſix. Comme ils apperceurent de loing Antonio de Faria, ils s’écrierent d’abord qu’ils luy demandoient pardon, & imploroient ſa miſericorde. A quoy il ne voulut iamais entendre, alleguant pour ſa raiſon qu’il ne pouuoit pardonner à ceux qui auoient fait mourir tant de Chreſtiens. Cela dit, il fit mettre le feu par ſix ou ſept endroits en cette maiſon, qui pour n’eſtre que de bois, poiſſée, & couuerte de fueilles de palmier ſeiches, brûla de telle ſorte que c’eſtoit vne choſe effroyable à voir. Cependant la pitié ne laiſſoit pas de s’y entremeſler à cauſe des grands cris que ces miſerables faiſoient dedans, quand la flamme commença de s’y prendre par tous les endroits ; de maniere qu’il y eut quelques-vns qui ſe voulurent precipiter du haut des feneſtres. Ce que voyant les noſtres qui eſtoient picquez d’vn deſir de vengeance, ils les receuoient de telle ſorte, qu’en tombant ils les embrochoient à force de dards, de lances, & de hallebardes. Cette cruauté finie, Antonio de Faria s’en reuint ſur le bord de la mer où eſtoit le Iunco que Coja Acem auoit pris depuis vingt-ſix iours aux Portugais de Liampoo. Il ſe donna le ſoin de le faire mettre en mer, à cauſe qu’on l’auoit calfeutré durant ce temps-là. Alors comme il fut en mer, il le remiſt entre les mains de ceux auſquels ils appartenoit, qui eſtoient Mem Taborda, & Antonio Anriquez, comme i’ay deſia dit. Par meſme moyen leur faiſant mettre la main ſur le liure de prieres, Mes amis, leur dit-il, pour l’amour de ces miens freres & compagnons, tant viuans que morts, auſquels voſtre Iunco que voila, a tant couſté de ſang & de vie, ie vous fait vn don de tout cela comme Chreſtien que ie ſuis, afin que par iceluy noſtre Seigneur nous reçoiue en ſon ſaint Royaume, & qu’il luy plaiſe nous octroyer en cette vie vne abolition de tous nos pechez, & en l’autre nous donner la vie eternelle, comme i’ay confience qu’il la donnera à nos freres qui ſont morts aujourd’huy en bons & fideles Chreſtiens pour la ſainte foy Catholique. Toutesfois