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Voyages Aduentureux

largiroient davantage, & en feroient beaucoup d’eſtat s’ils les entendoient, ou les eſcriuoient. C’eſt pourquoy ie ne touche maintenant que ce qu’il eſt beſoin d’eſcrire. Retournant doncques à mon propos, ie dis que la premiere choſe à laquelle Antonio de Faria s’employa apres cette victoire fut à faire penſer les bleſſez, dont il en auoit enuiron nonante deux, la pluſpart tous Portugais, en comprenant les valets qui nous appartenoient. Apres cela, comme il fut question de ſçauoir le nombre des morts, il s’en trouua quarante deux des noſtres, entre leſquels il y auoit huit Portugais, dont la perte affligea plus Antonio de Faria, que celle de tous les autres. Quant aux ennemis il y en euſt trois cens huitante, dont cent cinquante furent mis à feu & à ſang ; & les autres noyez. Or combien que cette victoire nous apportaſt à tous vn extreme contentement, cela n’empeſcha pas qu’il n’y euſt en general & en particulier quantité de larmes reſpanduës pour la mort de nos compagnons qu’on n’auoit point encore enſeuelis, & dont la pluſpart auoient la teſte fenduë en quatre des grands coups de hache, que les ennemis leur auoient donnez. Or combien qu’Antonio de Faria fuſt bleſſé en trois endroits, pour cela neantmoins il ne laiſſa pas de mettre pied à terre tout auſſi-toſt auec ceux qui ſe trouuerent alors en eſtat de l’accompagner. La premiere choſe qu’il fit, fuſt de donner ordre à l’enterrement des morts, il employa la pluſpart du iour. En ſuite de cela il fit tout le tour de l’Iſle, pour voir ce qu’il pourroit deſcouurir. Comme il tournoyoit de cette ſorte, il ſe trouua en vne vallée fort agreable, où ſe voyoient plusieurs iardins remplis de differentes ſortes de fruicts. Là meſme il y auoit vn village de quarante ou cinquante maiſons fort baſſes, que l’infame Coja Acem auoit ſaccagées, & y en auoit tué en outre pluſieurs habitans, pour n’auoir eu moyen de prendre la fuitte plus auant. Dans cette meſme vallée enuiron la portée d’vne arbaleſte, & le long d’vne agreable riuiere d’eau douce, dans laquelle il y auoit vne grande abondance de Muges, autrement dits Mulets, & de truites, l’on deſcouuroit vne fort belle maiſon, qui ſembloit eſtre le Pagode de ce village, laquelle eſtoit pleine de