Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
Voyages Aduentureux

leur propre ſang à cauſe de leurs playes. Les voyant en ſi triſte équipage, il leur demanda le ſujet de leur infortune. A quoy l’vn d’eux fiſt reſponſe auec demonſtration d’vn grand reſſentimẽt, Qu’il y auoit dix-ſept iours qu’ils eſtoient partis de Liampoo pour aller à Malaca, auecque deſſein de paſſer aux Indes ſi la ſaiſon le leur euſt permis, & qu’eſtant aduancez iuſques à l’Iſle de Sumbor, ils auoient eſté attaquez par vn Corſaire Guzarate de nation, qui s’appelloit Coja Acem, lequel auoit trois Iuncos & quatre Lanteaas, où eſtoient quinze cens hommes, à ſçauoir cent cinquante Mahumetans, Luzzons, Iaos, & Champaas, tous gens de l’autre coſte de Malaye, & qu’apres auoir combattu auec iceux depuis vne heure iuſques à quatre apres midy, ils auoient eſté pris auec la mort de quatre-vingts deux hommes, parmy leſquels il y auoit dix-huict Portugais, & pareil nombre qu’on auoit emmené captifs, & que dans leur Iunco il auoit eſté pris en marchandiſe, tant de la ſienne comme de celle des autres, la valeur de plus de cent mille Taeis. Auecque cela ils raconterent pluſieurs autres particularitez ſi pitoyables, qu’il fut bien veu par les larmes de ceux qui les eſcoutoient, la pitié qu’ils auoient d’eux, & d’apprendre ces triſtes nouuelles. Antonio de Faria fut vn long-temps tout penſif, ſur ce que ces hommes venoient de luy dire, puis ſe retournant vers eux, Meſſieurs, leur dit-il, declarez-moy ie vous prie, comment il vous a eſté poſſible d’eſchapper pluſtoſt que les autres, le combat s’eſtant paſſé comme vous dites ? Apres auoir eſté battus, reſpondirent-ils, enuiron vne heure & demie, les trois grands Iuncos nous aborderẽt cinq fois, & à force de coups qu’ils nous donnerent, ils firent vne ſi grande ouuerture à la prouë de noſtre vaiſſeau, que nous commençaſmes à couler à fonds ; ce qui fut la cauſe de noſtre perte, parce que pour eſtancher l’eau, & alleger noſtre Nauire, nous fuſmes contraints de ietter en mer vne partie de la marchandiſe dont il eſtoit chargé, & comme nos gens y trauailloient, les ennemis nous tenoient de ſi pres, que chacun fut contraint de laiſſer ce qu’il faiſoit pour ſe defendre ſur le tillac. Mais lors que durant ce grand trauail nous eſtions