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Voyages Aduentureux

tenoit eſclaues dans ſon Iunco, iugeans bien que nous eſtions Portugais, ſe mirent tous à crier trois ou quatre fois, Seigneur Dieu miſericorde. A ces mots nous nous miſmes tous ſur pied pour voir ce que c’eſtoit, fort éloignez de iuger ce qui en arriua depuis. Car nous euſmes bien à peine recogneu que c’eſtoient des Chreſtiens, que nous criaſmes fort haut aux Mariniers, qu’ils euſſent à ramener leurs voiles ; ce qu’ils ne voulurent faire. Au contraire s’eſtant mis à ioüer d’vn tambour par maniere de meſpris, ils firent trois grandes huées, & à meſme temps faiſant eſclatter leurs cimeterres tous nuds, dont ils s’eſcrimoient en l’air en nous menaçant, apres qu’ils ſe furent anchrez vn quart de lieuë plus auant que nous, Antonio de Faria deſirant d’apprendre ce que c’eſtoit, y enuoya vn Balon bien équippé. Mais apres que ceux qui eſtoient dedans furent arriuez à bord, ces barbares leur iettoient vne ſi grande quantité de pierres, qu’ils leur firent courir fortune ; ſi bien qu’ils s’en retournerent fort bleſſez, tant les Mariniers que les Portugais. Antonio de Faria les voyants reuenir ainſi enſanglantez, voulut ſçauoir d’eux d’où cela procedoit. Monſieur, luy reſpondirent-ils, nous ne ſçauons point ce que cela peut eſtre, & ne vous pouuons dire autre choſe, ſinon que vous voyez en quel équipage nous reuenons. Cela dit, luy monſtrans les bleſſeures de nos teſtes, nous luy declaraſmes quelle reception l’on nous auoit fait. D’abord cette nouuelle embarraſſa grandement Antonio de Faria, ſi bien qu’il y penſa aſſez long-temps. A la fin regardant ceux qui eſtoient preſens, Meſſieurs, leur dit-il, qu’il n’y ait aucun qui ne ſe tienne preſt, pource que moyennant la grace de Dieu ie me promets que nous ſçaurons bien-toſt d’où vient tout cecy. Car ie m’imagine que c’eſt ce chien de Coja Acem, & poſſible qu’il nous pourra bien payer aujourd’huy nos marchandiſes. Auec ce deſir il commanda qu’on leuaſt à l’heure meſme les anchres, & le plus promptement qu’il peuſt il fit voile auec les trois Iuncos & Lanteaas. Les ayant approchez à la portée d’vn mouſquet, il les ſalua de trente-ſix volées de canon, dont les douze eſtoient fauconneaux, & autres pieces de campagne, parmy