Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
Voyages Aduentureux

qué à la haſte en intention, ainſi qu’il diſoit, de vous prendre en vie, pour vous faire ſortir la ceruelle de la teſte auec vn frontail de corde, comme il a fait à mon Maiſtre ; mais Dieu permet qu’il paye le mal qu’il a commis. Antonio de Faria voyant ce que luy diſoit cet eſclaue, qui luy aſſeura pluſieurs fois que ce chien de Similau auoit amené auec luy tous ſes hommes de guerre, & que dans ſon Iunco il n’eſtoit demeuré que quarante Mariniers Chinois, il ſe reſolut de s’ayder de cette bonne fortune, apres auoir fait mourir Similau & ſes autres compagnons, leur faiſant ſauter la ceruelle de la teſte auec vne corde, comme Similau auoit fait en Liampao à Gaſpar de Melle, & aux autres Portugais. Il s’embarqua incontinent auec trente ſoldats dans le bateau, & dans les Machuas, dans leſquels les ennemis eſtoient venus de Preuau ; à l’occaſion de la marée & du vent fauorable, en moins d’vne heure il arriua où eſtoit le Iunco ancré à mont la riuiere, vne lieuë loing de nous ; & l’ayant abordé s’y ietta ſans bruit, & ſe rendit maiſtre de la poupe, de laquelle ſeulement quatre pots de poudre qu’il ietta ſur le tillac où eſtoit cette canaille endormie, les firent tous ſauter dans la mer ; dont il en mourut dix ou douze, & les autres, à cauſe qu’ils crioient ſur l’eau, qu’ils ſe noyoient, & qu’on les prit, Antonio de Faria en fit tirer, à cauſe qu’il auoit beſoin d’eux pour la nauigation du Iunco, qui eſtoit fort grand & haut. Et voila comme il pleuſt à Dieu par vn iuſte iugement de ſa diuine Iuſtice, que la gloire de ce chien maudit fut le miniſtre qui mit en execution le chaſtiment de ſes cruautez, & qu’entre les mains des Portugais il receuſt la punition de ce qu’il leur auoit fait. Alors enuiron le poinct du iour faiſant inuentaire de toute la priſe, il ſe treuua trente ſix mille Taeis en argent du Iappon, qui valent de noſtre monnoye cinquante-quatre mille ducats, outre pluſieurs ſortes de bonnes marchandiſes qui pour lors ne furent priſées, pour n’en auoir pas eu le temps, à cauſe que le pays eſtoit deſia mutiné, & que les habitans y faiſoient quantité de feux, auec leſquels ils ont accouſtumé de ſe donner des aduis les vns aux autres, quand il y a quelque allarme d’ennemis ; ce qui contraignit Antonio de Faria de faire voile en diligence.