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Voyages Aduentureux

accrochez, puis ils ſe mirent incontinent à la voile, pour l’apprehenſion qu’ils auoient d’eſtre recogneus.




De l’aduenture que nous euſmes nous trois, apres nous eſtre cachez dans le bois.


Chapitre XXXVII.



Comme nous viſmes que nous trois eſtions eſchappez de cette malheureuſe rencontre tous bleſſez, & ſans eſperance d’aucun remede, nous euſmes recours aux pleurs, & en hommes forcenez, nous commençaſmes à nous outrager le viſage. Car en ce deſaſtre il nous eſtoit impoſſible de nous reſoudre, ſi fort nous eſtions eſtonnez de ce que nous auions veu depuis demie heure. En cette deſolation nous paſſaſmes le reſte de cette triſte iournée : mais comme nous apperceuſmes que le lieu eſtoit mareſcageux, & remply de quantité de couleuures & de lezards, nous trouuaſmes que pour noſtre mieux il nous y falloit demeurer toute cette nuict. Comme en effet nous l’y paſſaſmes enſeuelis dedans la vase iuſqu’à l’eſtomach. Le lendemain ſi toſt qu’il fut iour, nous allaſmes le long de la riuiere, & fiſmes en ſorte d’arriuer à vn petit canal que nous n’oſaſmes paſſer, tant pour eſtre fort profond, que pour le grand nombre de lezards que nous y viſmes. Ainſi nous paſſaſmes la nuict en ce meſme lieu auec beaucoup de peine, & y demeuraſmes cinq iours entiers, ſans pouuoir ny paſſer outre, ny reculer, à cauſe des mareſcages tous ionchez d’herbes ; il mourut cependant vn de nos compagnons nommé Baſtien Anriquez homme riche, & qui auoit perdu 8000. eſcus dans la Lanchare. De cette façon, de tout ce nombre de gens que nous eſtions auparauant, il ne reſta plus que Chriſtouan Borralho & moy, qui nous miſmes à pleurer au bord de cette riuiere, ſur le corps du pauure defunct qui n’eſtoit qu’à demy enterré. Car nous eſtions alors ſi foibles, que nous ne pouuions nous remuer, ny preſque parler, tel-