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Voyages Aduentureux

de la tranchée, à faute de reſiſtance, & dabord il y tua tout autant de malades & de bleſſez qu’il y treuua, dont le nombre ſe montoit à quelques quinze cens hommes, à pas vn deſquels il ne voulut donner la vie. Cependant le malheureux Roy d’Aaru, qui ne penſoit à rien moins qu’à la trahiſon de ſon Cacis, voyant ſa tranchée priſe, accourut pour la ſecourir, à cauſe que c’eſtoit la choſe qui luy importoit le plus. Mais ne ſe treuuant pas le plus fort il fut contraint de quitter le camp. Alors comme il taſchoit de faire retraitte vers les foſſez de la ville, ſa mauuaiſe fortune voulut, qu’vn Turc ſon ennemy le tua d’vn coup d’harquebuſe. De cette mort s’enſuiuit la perte de tous les autres, à cauſe du grand déſordre qu’elle apporta parmy eux. Dequoy les ennemis furent ſi ioyeux, que voyant le corps de cét infortuné Roy eſtendu ſur le champ de bataille parmy les autres morts, ils le prirent incontinent, puis apres luy auoir tiré les entrailles, ils le ſalerent, & le mirent dans vne caiſſe. Ils le preſenterent depuis au Roy d’Achem, lequel auec pluſieurs ceremonies de Iuſtice, le fit ſcier publiquement par diuerſes pieces, & cuire dans vne chaudiere plaine d’huyle & de poix, auec vne eſpouuentable publication, dont la teneur eſtoit telle :

Voicy la Iuſtice que fait faire Soultan Laradin, Roy de la terre des deux Mers, & Paſtil des lampes d’or de la chapelle du Prophete Noby, qui veut, & luy plait, qu’ainſi ſcié & cuit dans le feu, patiſſe l’ame de ce miſerable Mahometan, pour auoir eſté tranſgreſſeur de la Loy de l’Alcoran, & de la parfaite croyance des Mouſſelimans, de la maiſon de la Mecque. Car cette execution eſt fort iuſte & conforme à la ſaincte doctrine du Liure des Fleurs, veu que ce meſchant s’eſt fait voir en toutes ſes œuures ſans aucune crainte de Dieu, ne ceſſant d’enuoyer des aduis touchant les plus ſecrettes affaires de ce Royaume, à ces maudits chiens du bout du monde, qui par vne grande offence, & vne inſigne tyrannie, iointe à nos pechez, & à noſtre nonchalance, ſont maintenant Seigneurs de Malaca. Cette publication acheuée il ſe fit vn bruit effroyable parmy le peuple, qui pour reſponſe s’eſcria, Ce Chaſtiment n’eſt que trop petit pour vn crime ſi execrable. Voyla veritablement de quelle façon cela ſe paſſa, & comme à la perte du Royaume d’Aaru