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de Fernand Mendez Pinto.

nombre ; voyant que ie ne leur pouuois eſtre vtile en leur meſtier, qui eſtoit de ne bouger de l’eau pour peſcher, m’expoſerent a l’encan par trois fois, ſans qu’il ſe treuuaſt iamais perſonne qui me vouluſt achepter. Ce qui fut cauſe que ſe défians de me pouuoir vendre, ils me mirent hors de leur maiſon, pour ne me point donner à manger, puiſque ie ne leur eſtois propre à rien. Il y auoit deſia trente ſix iours que i’eſtois hors de leur pouuoir, abandonné par ces inhumains, & mis à la paſture comme vn cheual de rebut, ſans qu’il me reſtaſt d’autre inuention pour viure, que de demander de porte en porte, quelque petite aumoſne, que l’on me donnoit fort rarement, à cauſe que tous ceux de ce pays eſtoient grandement pauures, lors qu’vn iour, comme i’eſtois couché au Soleil, ſur le ſable, le long du riuage de la mer, où ie me plaignois à part moy de mes infortunes, Dieu permit qu’il vint à paſſer par là fortuitement vn Mahometan, natif de l’Iſle de Palimban ; ceſtuy-cy ayant eſté autresfois à Malaca en la compagnie des Portugais, me voyant ainsi nud, & eſtendu sur le ſable, me demanda ſi ie n’eſtois point Portugais auſſi, & que i’euſſe à luy dire la verité. À quoy ie luy fis reſponſe que ie l’eſtois en effet, & nay de parens fort riches, qui luy donneroient pour ma rançon tout ce qu’il voudroit, s’il me vouloit mener à Malaca, où i’eſtois nepueu du Capitaine de la fortereſſe, comme fils d’vne ſienne ſœur. Le Mahometan m’oyant parler ainſi ; s’il eſt vray, me reſpondit-il, que tu ſois tel que tu dis, quel ſi grand peché peus-tu auoir fait pour eſtre reduit au miſerable eſtat où ie te vois maintenant ? Alors ie luy racontay de point en point comme ie m’eſtois perdu, & de quelle façon les ſept peſcheurs qui m’auoient là mené dans leur barque, & depuis dans leur maiſon, m’en auoient chaſſé finalement, pour n’auoir treuué perſonne qui me vouluſt achepter. À ces mots il me teſmoigna d’eſtre grandement eſtonné ; ſi bien qu’apres auoir eſté quelque temps tout penſif ; Eſtranger, me dit-il, ſçache que ie ne ſuis qu’vn pauure Marchand, tellement incommodé, que tout mon bien ne vaut pas dauantage de cent Pardains, qui valent la pièce vingt-cinq ſols de