couper la hampe, tandis qu’un vieux soldat, coiffé d’un béret rouge, tient en criant la hampe d’une main et de l’autre, levant un sabre, cherche à abattre les poignets de ceux qui, dans une attitude terrible et grinçant des dents, retiennent ce drapeau tant disputé. À terre, sous les jambes des chevaux, deux hommes, figurés en raccourci, luttent ensemble. Celui qui a l’avantage cherche à égorger avec son poignard l’autre qui, résistant des bras et des jambes, s’efforce d’éviter la mort. On ne saurait exprimer la variété que Léonard mit dans les vêtements des soldats, les cimiers et les ornements, et l’étonnante maîtrise qu’il montra dans les formes et les lignes des chevaux, dont il rendit la musculature et la beauté mieux qu’aucun autre maître. On dit que, pour dessiner ce carton, il inventa une machine fort ingénieuse, s’élevant lorsqu’on la rétrécissait, et s’abaissant quand on l’élargissait. Voulant ensuite reproduire à l’huile son carton sur le mur, il composa une mixture si épaisse pour coller sur le mur, qu’elle vint à couler pendant qu’il peignait, en sorte qu’au bout de peu de temps il abandonna le travail, voyant se gâter ce qu’il avait commencé.
Léonard avait l’esprit très large, et il était très généreux dans toutes ses actions. On raconte qu’étant allé à la banque pour recevoir la provision que le gonfalonier Piero Soderini lui faisait chaque mois[1], le caissier voulut lui donner des sacs pleins de quatrini, comme qui dirait des liards. Il ne voulut pas les prendre et dit au caissier : « Je ne suis pas un peintre à quatrini. » Puis, ayant appris que Piero Soderini murmurait contre lui, il rassembla, avec l’aide de ses amis, toute la somme qu’il avait reçue, et la renvoya à Soderini qui, à la vérité, ne voulut pas l’accepter.
Il alla à Rome avec le duc Giuliano de’ Medici, quand fut élu pape Léon[2] qui avait beaucoup de goût pour les choses philosophiques, en particulier pour l’alchimie. Pendant le voyage, Léonard ayant composé une pâte de cire, en fit des animaux très légers, qu’il faisait s’envoler en soufflant dedans ; mais ils tombaient quand l’air qui les soutenait venait à leur manquer.
Un vigneron du Belvédère ayant trouvé un lézard très singulier, Léonard s’en empara et fabriqua, avec des écailles arrachées à d’autres lézards, des ailes qu’il lui mit sur le dos et qui frémissaient à chaque mouvement de l’animal, à cause du vif argent qu’elles contenaient. Il lui ajusta en outre de gros yeux, des cornes et de la barbe, et l’ayant