surprendrait le battement de l’artère ; enfin, il faut avouer que cette figure est d’une exécution à faire trembler et reculer l’artiste le plus habile du monde qui voudrait l’imiter. Il employa encore le moyen suivant. Comme Madonna Lisa était très belle, pendant qu’il la peignait, il eut toujours près d’elle des chanteurs, des musiciens et des bouffons, afin de la tenir dans une douce gaieté, et d’éviter cet aspect d’affaissement et de mélancolie presque inévitable dans les portraits. Dans celui-ci, il y a un sourire si attrayant, que c’est une chose plus divine qu’humaine à regarder, et qu’on l’a toujours tenu pour une merveille qui n’est pas inférieure au modèle.
La perfection des ouvrages de cet artiste surhumain avait tellement accru sa renommée que tous ceux qui aimaient l’art, autrement dit la ville entière, désiraient qu’il laissât quelque souvenir à son pays et demandaient qu’il fût chargé d’un travail grand et notable, qui ornât et honorât la ville, pour la faire profiter de la somme de génie, de grâce et de jugement que l’on reconnaissait dans les œuvres de Léonard. La grande salle du Conseil venant d’être rapidement terminée d’après ses propres plans et ceux de Giuliano San Gallo, Simone Pollaiuoli dit le Cronaca, Michel-Ange Buonarroti et Baccio d’Agnolo, il fut convenu entre les gonfaloniers et les principaux citoyens, et ordonné par un décret public, qu’on donnerait à Léonard une belle œuvre à peindre, et ce fut Piero Soderini, alors gonfalonier de la justice, qui lui fit allouer la salle en question[1]. Léonard, voulant s’exécuter, commença son carton dans la salle du pape, à côté de Santa Maria Novella, et prit pour sujet la défaite de Niccolo Piccinino, capitaine du duc Filippo de Milan ; c’est un groupe de cavaliers se disputant un drapeau, composition digne d’un grand maître à cause des admirables considérations dont il remplit cette défaite. On y remarque la rage, la colère et la vengeance qui animent les hommes et les chevaux, parmi lesquels deux, ayant leurs jambes de devant entrelacées, se font autant de mal l’un à l’autre avec leurs dents, que les cavaliers qui se disputent le drapeau. Le soldat qui porte le drapeau, les épaules en avant, tandis qu’il presse son cheval pour s’enfuir, tourne son corps, en se cramponnant à la hampe du drapeau qu’il espère arracher brusquement aux quatre cavaliers qui l’ont saisie à la fois. Les deux qui défendent le drapeau, le tenant d’une main, cherchent avec l’autre à
- ↑ Probablement en octobre 1503 ; le 24 du mois la commune lui fait ouvrir la salle du pape. Le carton fut exposé en 1505. Il est perdu, et il n’en reste qu’un dessin fait par Rubens et conservé au Musée du Louvre.