maient, Léonard avertit le paysan de la faire prendre. Ser Piero se rendit donc un matin dans la pièce occupée par son fils, et, ayant frappé à la porte, Léonard lui ouvrit en le priant d’attendre un peu ; puis, étant rentré, il plaça la rondache dans son jour, sur le chevalet, et arrangea la fenêtre de façon que la lumière tombât sur la peinture en rayons éblouissants ; enfin il fit entrer son père pour la voir. Ser Piero, au premier aspect ne s’y attendant pas, éprouva comme une commotion, ne pensant pas que ce n’était là qu’une rondache et moins encore que ce qu’il voyait fût une peinture. Il recula d’un pas, mais Léonard le retint et lui dit : « Mon père, cet ouvrage produit l’effet que j’en attendais ; prenez-le donc et emportez-le. » Ser Piero fut émerveillé et loua hautement l’étrange raisonnement de son fils. Il acheta secrètement chez un mercier une autre rondache, ornée d’un cœur percé d’une flèche, et la donna au paysan qui en conserva toute sa vie de la reconnaissance. Ensuite, il vendit secrètement la rondache de Léonard cent ducats à certains marchands qui ne tardèrent pas à la revendre trois cents au duc de Milan[1].
Léonard fit ensuite une Vierge très belle sur un tableau qui a appartenu au pape Clément VII[2]. Entre autres choses qui y sont représentées, on y voit une carafe d’eau contenant quelques fleurs qui, outre la vivacité des couleurs, sont admirables par la rosée qui les recouvre, en sorte qu’elles paraissent plus naturelles que la nature même. Il dessina aussi sur une feuille de papier, pour Antonio Segni, son ami intime, un Neptune. On y voyait la mer en ébullition, le char traîné par des chevaux marins, avec des animaux fantastiques, des orques, des vents et quelques têtes de dieux marins très belles. Il lui prit fantaisie de peindre à l’huile une tête de Méduse[3]; des serpents qui se nouent et s’entrelacent forment sa chevelure, invention la plus bizarre et la plus étrange qu’on puisse imaginer. Comme il fallait beaucoup de temps pour mener cette tête à fin, il la laissa inachevée, ainsi qu’il faisait presque toujours. On la trouve dans la précieuse collection du duc Cosme, qui possède également un ange levant un bras en l’air, qui est représenté en raccourci de l’épaule au coude et venant en avant, et tenant l’autre sur sa poitrine. Il y a lieu de remarquer que ce grand esprit, qui avait le désir de donner un grand relief aux objets qu’il représentait, cherchait à rendre, dans ses fonds, les parties