Michel-Ange Buonarroti ; non seulement il tient le premier rang dans un de ces arts, mais dans les trois pris à la fois. Non seulement il a surpassé et vaincu tous ceux qui avaient déjà pour ainsi dire triomphé de la nature, mais encore les plus fameux maîtres de l’antiquité qui surpassèrent la nature même, de la manière la plus éclatante et la plus incontestable. Seul au monde, Michel-Ange est au-dessus des anciens, des modernes et de la nature ; on pourrait à peine imaginer une chose si étrange et si difficile fût-elle, qu’il n’ait pas surpassée de beaucoup, par la puissance de son divin génie, et grâce à l’industrie, au dessin, à l’art, au jugement et à la grâce dont il était abondamment doué ; non seulement en peinture, et avec les couleurs (genre qui comprend toutes les formes et tous les corps, droits ou non, palpables ou impalpables, visibles ou invisibles), mais encore dans la rotondité absolue des corps, et avec la pointe de son ciseau. D’une aussi belle plante, et si riche en fruits se sont déjà étendus tant de rameaux si éclatants, que non seulement ils ont rempH le monde d’une quantité jusqu’alors inusitée des fruits les plus savoureux qui soient, mais encore ils ont donné la plus grande expression à ces trois arts si nobles, avec une perfection si grande et si merveilleuse que l’on peut bien affirmer que ses statues, quelles que soient leurs parties, sont infiniment plus belles que les antiques. Si l’on met en parallèle les têtes, les mains, les bras et les pieds pris dans les unes et dans les autres, on reconnaît dans les siennes une base plus solide, une grâce plus conforme et une perfection plus absolue avec l’exécution de certaines difficultés, si aisée dans sa manière qu’il est impossible de jamais voir mieux. On peut en dire autant de ses peintures : si par aventure on pouvait leur opposer celles des plus fameux peintres grecs et romains, les siennes resteraient plus estimées et plus honorées, autant que ses sculptures paraissent supérieures à toutes les sculptures antiques. Mais si nous admirons tant ces maîtres si fameux qui, stimulés par des récompenses si éclatantes et tant de félicité, donnèrent naissance à leurs œuvres, combien plus devons-nous célébrer et élever jusqu’aux nues ces rares génies qui ont donné des fruits si précieux, non seulement sans en recevoir de récompenses, mais encore en vivant dans la plus misérable pauvreté ! Croyons donc et affirmons que si, dans notre siècle, ils avaient reçu leur juste récompense, ils auraient fait, sans aucun doute, des choses plus grandes et meilleures que n’en firent jamais les anciens. Mais, quand il faut lutter plus contre la faim que contre la renommée, le génie malheureux reste effacé et ne se fait pas connaître (par la faute et à la grande honte de ceux qui pourraient l’ai-
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