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de me laisser seul dans ce monde menteur, en proie à tant d’ennuis. Comme la meilleure partie de moi s’en est allée avec lui, il ne me reste qu’une misère infinie. Je me recommande à vous. » Du temps du pape Paul IV, Michel-Ange fut employé aux fortifications de Rome, sur divers points, particulièrement à la grande porte du château Saint-Ange, actuellement à demi ruinée, que Salustio Peruzzi avait commencée pour ce pape. Il s’employa encore à distribuer à divers sculpteurs les statues de cette œuvre, à voir leurs modèles et à les corriger. A cette époque, l’armée française[1] s’approcha de Rome, et Michel-Ange, pensant que la ville allait en pâtir, quitta Rome, avec Antonio Franceze da Castel Durante, qu’Urbino lui avait laissé en mourant, pour le servir. Il alla secrètement dans les montagnes de Spolète[2], et visita plusieurs ermitages. Puis il revint à Rome, et se remit à travailler presque tous les jours, comme passe-temps, aux quatre figures de la Pietà, dont il a déjà été parlé. Il les brisa à cette époque, pour les raisons suivantes : comme le bloc était très dur et contenait des grains d’émeri, le ciseau en faisait souvent jaillir des étincelles. Ou bien est-ce que cet homme était d’un goût tellement difficile qu’il n’était jamais content de ce qu’il produisait ? Ce qui pourrait le faire croire est que, des statues faites par lui dans son âge mûr, on en voit peu de terminées, et que toutes celles qui ont été finies sont dues à sa jeunesse, par exemple, le Bacchus, la Pietà della Madonna delle Febbre, le Colosse de Florence, le Christ de la Minerva, œuvres auxquelles on ne pourrait ajouter ni enlever l’épaisseur d’un grain de mil sans les abîmer. Les statues qu’il sculpta, étant plus âgé, à savoir : les ducs Laurent et Julien, l’Aurore et la Nuit, le Moïse et les deux figures qui l’encadrent, portent le nombre à onze statues terminées. Toutes les autres sont restées inachevées, et sont en bien plus grand nombre. Il avait coutume de dire que, s’il avait eu à se déclarer content de ses œuvres, il n’en aurait exposé que bien peu, et même pas une seule. Sa recherche du grand art faisait que, lorsqu’il découvrait une statue et qu’il y trouvait tant soit peu de défauts, il l’abandonnait et s’attaquait à un autre bloc, espérant ne pas retomber dans la même erreur ; il disait que c’était là la vraie raison pour laquelle il avait produit si peu de statues et de peintures. Ce groupe de la Pietà, une fois brisé, il le donna à Francesco Bandini.

À cette époque, Tiberio Calcagni, sculpteur florentin, était devenu

  1. Erreur : l’armée du duc d’Albe.
  2. En septembre 1556.