faire honneur à lui et à sa patrie. Domenico lui envoya entre autres Michel-Ange et Francesco Granacci, en les donnant pour d’excellents élèves. Ceux-ci étant allés au jardin, y trouvèrent Torrigiano, jeune homme de la famille des Torrigiani, qui exécutait, en terre, certaines figures de ronde-bosse que Bertoldo lui avait données à faire. Michel-Ange en fit quelques-unes par émulation, et qui donnèrent de grandes espérances à Laurent. Peu après, Michel-Ange, ainsi encouragé, se mit à copier, avec un morceau de marbre, une tête antique de faune, vieux et grimaçant, qui avait le nez camus et dont la bouche ricanait[1]. Il la réussit si bien, quoique ce fût la première fois qu’il touchât marbre et ciseaux, que Laurent en resta stupéfait. Puis, voyant qu’au lieu de copier littéralement la tête antique, il avait, par fantaisie, contorsionné la bouche, et que l’on voyait la langue et les dents, ce seigneur lui dit en plaisantant doucement selon son habitude : « Tu devrais pourtant savoir que les vieillards n’ont pas toutes leurs dents, et qu’il leur en manque toujours quelques-unes. » Il parut à Michel-Ange que, dans sa simplicité, le propos de ce seigneur, qu’il aimait et respectait, était vrai, et aussitôt que Laurent fut parti, il rompit une dent à son faune et coupa la gencive, de manière à faire croire que la dent était tombée, puis il attendit impatiemment le retour de Laurent qui, voyant la simplicité et l’ingéniosité de Michel-Ange, en parla fréquemment en riant à ses amis, et, s’étant décidé à lui accorder sa faveur, il fit dire à Lodovico, son père, qu’il désirait l’avoir auprès de lui, voulant le traiter comme un de ses fils, et Lodovico le lui accorda volontiers. Le Magnifique lui donna alors une chambre dans son palais et le fit manger à sa table, avec ses fils et d’autres personnages honorables et de haut rang, qui résidaient avec lui, et cela arriva l’année après celle que Michel-Ange était entré dans l’atelier de Domenico ; il avait alors quinze ou seize ans. Il resta dans cette maison quatre ans, jusqu’à la mort de Laurent[2], qui arriva en 1492. Durant tout ce temps, ce seigneur lui donna cinq ducats par mois, pour venir en aide à son père ; il lui fit don en outre d’un manteau violet et nomma son père à un office de la douane. Il est vrai que tous les jeunes gens de l’école du jardin avaient un traitement plus ou moins élevé qu’ils devaient à la libéralité de ce grand et magnifique citoyen, et que, tant qu’il vécut, il les récompensa.
À cette époque, sur le conseil de Poliziano, homme de lettres