du dire autrefois, ledit prieur excellait à faire le bleu d’outremer, et comme il en possédait une certaine quantité, il voulut que Pietro en mît beaucoup dans toutes les œuvres susdites ; mais le pauvre homme était si méfiant que n’ayant pas confiance dans Pietro, il voulait toujours être présent quand celui-ci employait le bleu dans son travail. Pietro, qui était un homme de bien, au cœur droit et qui ne désirait autre chose que la récompense de ses peines, avait sur le cœur de voir la méfiance du prieur, et il imagina de l’en faire rougir. Ayant pris un petit bassin plein d’eau, quand il avait fait les dessous de ses draperies ou d’autre chose qu’il voulait peindre en bleu ou en blanc, il demandait successivement de l’outremer au prieur qui mettait avec peine la main au sac et le lui faisait mettre dans la fiole pleine d’eau à détrempe. Passant ensuite à l’exécution, après deux coups de pinceau, Pietro plongeait le pinceau dans le bassin en sorte qu’il restait plus d’outremer dans l’eau qu’il n’en posait sur sa peinture. Le prieur, qui voyait que le sac se vidait et que le travail ne sortait pas, ne cessait de répéter : « Dieu ! que cet enduit absorbe d’outremer ! — Vous le voyez bien ! » répondait Pietro. Puis quand le prieur était parti, Pietro retirait l’outremer qui était au fond du bassin ; et, quand il lui parut temps de le faire, il le rendit au prieur, et lui dit : « Mon père, ceci vous appartient ; apprenez à vous fier aux hommes de bien, qui ne trompent jamais ceux qui se fient à eux, mais qui sauraient bien tromper, s’ils le voulaient, les méfiants tel que vous. »
Ces œuvres et beaucoup d’autres le mirent en telle réputation qu’il fut presque forcé d’aller à Sienne, où il peignit, à San Francesco, un grand tableau[1] qui fut trouvé très beau, et, à Sant’Agostino, un autre représentant un Christ en croix avec quelques saints[2]. Peu après, il fit à Florence, dans l’église San Gallo, un tableau de saint Jérôme pénitent[3], qui est aujourd’hui à San Jacopo tra Fossi. On le chargea ensuite de représenter, au-dessus des escaliers de la porte latérale de San Pier Maggiore[4], un Christ mort avec un saint Jean et la Madone ; il l’exécuta de telle manière que, bien qu’exposée à la pluie et au vent, cette fresque s’est conservée avec une extrême fraîcheur, comme si elle venait d’être terminée par Pietro. Certes, il montra une profonde intelligence du coloris à fresque aussi bien qu’à l’huile. À