tous côtés, on n’entendait que des critiques, qui n’étaient pas plus favorables à l’artiste qu’à son ouvrage ; on attacha sur le piédestal des vers toscans et latins si cruellement satiriques que le duc Alexandre fut forcé d’emprisonner quelques personnes, ce qui ferma la bouche aux médisants. Baccio, considérant son œuvre mise en place, trouva que le grand air ne lui était pas favorable et que les muscles manquaient d’énergie. Il fit alors entourer le groupe de planches, et retouchant çà et là au ciseau, rendit ses muscles plus durs qu’ils n’étaient auparavant. Pour connaître l’opinion public, Baccio recommanda à un maître d’école qu’il logeait dans sa maison d’aller écouter ce que l’on disait et de lui rendre compte de tout ce qu’il aurait entendu. Le soir, cet homme rentra tristement chez lui, et ce ne fut qu’après avoir été vivement pressé par Baccio qu’il se décida à lui avouer que tous, d’une voix, condamnaient le groupe, et qu’il ne plaisait à personne. « Et toi, qu’en penses-tu ? » lui dit Baccio. — « Pour vous être agréable, je dirai que je le trouve bien et qu’il me plaît. — Je ne veux pas qu’il te plaise, s’écria Baccio ; dis-en aussi du mal. Tu sais que je ne dis jamais de bien de personne ; ainsi nous serons quittes. »
Dans ce temps-là, le prince Doria écrivit au duc Alexandre qu’il se vengerait de Baccio, s’il ne terminait pas promptement sa statue, maintenant que le colosse était achevé. Baccio, effrayé, ne se souciait pas d’aller à Carrare ; mais le cardinal Cibo et le duc Alexandre le déterminèrent à partir et à se mettre à l’œuvre. Doria se faisait rendre compte journellement de ce qu’il faisait, et, ayant appris que la statue ne serait pas aussi belle qu’on lui avait promis, fit entendre à Baccio que, s’il ne le servait pas bien, il s’en repentirait ; mais Baccio, se voyant entouré d’espions qui lui avaient entendu dire beaucoup de mal du prince, abandonna tout et revint précipitamment à Florence.
La mort de Clément VII étant arrivée sur ces entrefaites, les cardinaux Hippolyte de Médicis, Cibo, Salviati, Ridolfi et Messer Baldassare Turini da Pescia, ses exécuteurs testamentaires, résolurent de placer son tombeau dans l’église de la Minerva, avec celui de Léon X[1]. Connaissant le peu d’habileté de Baccio comme architecte, ils choisirent Antonio da San Gallo pour dessiner les mausolées, et le sculpteur Lorenzetto pour surveiller la taille des marbres ; ils ne laissèrent donc à Baccio que le soin d’exécuter les statues et les bas-reliefs. Ayant touché des avances, Baccio partit sans terminer les statues, et les cardinaux
- ↑ Le contrat est du 25 mars 1536 ; les tombeaux devaient être primitivement placés à Sainte-Marie-Majeure. Baccio, maitre du travail, devait recevoir 3.200 ducats d’or.